Il dirige Trans’Boulot, une association unique en France comptant 70 collaborateurs, dont 60 en insertion, et pratiquant la mobilité solidaire et inclusive auprès d’un millier de bénéficiaires « en panne de mobilité ». Mais Vincent Balzano n’aime pas qu’on le décrive militant. Il s’en tient à ça : « J’œuvre à mon humble niveau, autour de moi ». Avant cette entrée dans l’économie sociale et solidaire, il a bourlingué (presque) partout : il a été maçon intérimaire, factotum, chasseur de têtes, directeur commercial, souvent formé sur le tas. Mais il refuse le terme d’autodidacte. Sa vie roule comme une suite de rencontres formatrices, une longue route balisée par l’idée que « le conseil est un cadeau ». Né à Moyeuvre-Grande, son enfance et son adolescence défilent à Uckange et Fameck dans le sein protecteur de la communauté italienne, mais, car il y a un mais, là aussi. « Je porte fièrement mes origines italiennes mais j’appartiens davantage à une communauté de quartier », celle des « mamans bienveillantes qui réglaient les problèmes, où tout le monde se mettait au garde-à-vous quand elles braillaient ». Et puis il y a le fan de Thionville, pionnier de l’aventure luxembourgeoise, papa, philosophe, rugbyman…
Rugbyman, donc carré, solide, avec « une bouille de gosse ». C’est son amie Karine Touati qui balance. Leur relation fut professionnelle (elle dirige l’agence de communication Kosmo, au Luxembourg) avant d’être amicale. Puis complice. « Entre nous, c’est d’abord un coup de foudre professionnel. Vincent est tout de suite impressionnant mais il a conservé sa bouille de gosse, ce qui lui donne une tendresse virile. Dans le boulot et dans la vie, il est identique, il a un cœur énorme et toujours une grande attention pour les autres ». Karine assiste à la mue du businessman. Elle se souvient du jour où il se confie et lui dit : « Il me manque un peu de substance. Le recrutement, j’en ai fait le tour, il faut que je fasse quelque chose d’autre de ma vie ». Il est alors un jeune papa, après l’avoir été deux fois une vingtaine d’années auparavant. Cette nouvelle paternité conditionne le changementvers une nouvelle vie, portée par de nouvelles valeurs. D’autres révolutions ont sillonné sa carrière, dont une au sortir d’un service militaire effectué à Toul : « Je n’ai pas fait d’études, j’ai commencé comme aide-maçon en intérim. Et puis un jour, j’attrape le commercial qui me plaçait sur les chantiers et je lui explique que je n’ai jamais rêvé d’être maçon quand j’étais petit. Moi je rêvais d’être vendeur au rayon vêtements au Cora de Mondelange, vous voyez un peu l’ambition de dingue que j’avais ! Il a dû trouver ça marrant et je suis alors devenu « le couteau suisse » de la société d’intérim qui l’employait. J’avais 18 ans, c’était l’époque où l’intérim marchait fort mais il n’y avait pas de fax, pas de SMS ni de portable. J’allais chez les ouvriers, les prévenir de leur prochaine mission, voire même les conduire au boulot, j’emmenais les acomptes sur les chantiers. Entre le patron et moi, il y avait aussi un contrat moral : il m’apprenait son job en contrepartie de mon investissement sans faille 16 heures par jour, et en trois ans, il m’a tout appris : les notions de gestion, de développement commercial et de management ». Au rayon des ambitions, Vincent Balzano cherche plus haut et gravit des marches à la pelle, conduisant le jeune arpète à diriger ensuite des équipes dans les secteurs commercial et financier, en France et au Luxembourg. « Quand je débarque au Luxembourg, c’est le far-west, tout est à construire. On était à ce moment-là moins de vingt mille frontaliers et quand j’ai arrêté, il y a quelques années, on était plus de deux cent mille. J’ai vraiment vu ce pays sortir de terre et participer à cette aventure, c’était formidable. J’ai donc fait l’essentiel de ma carrière au Luxembourg et arrivé à une quarantaine d’années, j’ai réorienté ma carrière ». Vincent Balzano débarque à Trans’Boulot, une association basée à Rosselange et œuvrant sur le nord mosellan et meurthe-et-mosellan. Créée il y a vingt-deux ans, elle agit sur la base de ce constat : « Les difficultés de mobilité représentent le premier frein à l’emploi, avant les questions de formation, d’expérience ou de disponibilité ». L’association, conventionnée par l’État, reçoit des financements essentiellement de collectivités publiques pour lesquelles « nous tentons aussi d’être un laboratoire ». Disposant de trente véhicules, ses 70 salariés parcourent un million de kilomètres par an et pallient l’absence « de moyens de transport traditionnels entre les bassins de vie et les zones d’activité économique » pour un public varié : demandeurs d’emploi, bénéficiaires de minimas sociaux, stagiaires, intérimaires… Ceux-ci paient la prestation selon un tarif tenant compte du statut et de la distance. « C’est unique en France car on fonctionne en permanence, 24h/24 et 7j/7, sur des horaires atypiques et avec des personnels en situation d’insertion. Mais on ne s’en tient pas à cela. Nous menons un autre combat qui consiste à ne pas laisser les bénéficiaires de nos services bercés par une solution de facilité. Trans’Boulot, c’est la première marche. Nous les aidons à réfléchir à une autre mobilité, à la solution du multimodal, à la mobilité saisonnière car on ne se déplace pas de la même manière tout au long de l’année. Les questions de santé ou de dérèglement climatique liées aux déplacements professionnels sont également abordées ». À 54 ans, Vincent Balzano constate une sorte de boucle bouclée : « Je reviens à mes débuts, avec trente ans de maturité professionnelle ». Entre son premier job, où il véhiculait les salariés de son entreprise d’intérim, et la direction de Trans’Boulot, il vit en effet un retour aux sources, constellé de madeleines de Proust : les armées de vélos et de mobylettes à la sortie des usines et « ces nuées de bus qui ramassaient les ouvriers de la sidérurgie ». Dont ses père et grand-père.
Association Trans’Boulot
6 Grand Rue 57780 Rosselange – 03 87 73 51 42 / trans-boulot.fr
Lorraine et Luxembourg : » nous avons grandi ensemble «
Son retour aux sources le renvoie aussi à une fidélité à l’esprit de débrouillardise, inculqué par sa famille et son quartier : « Le quartier, c’était une grande famille ». Car quand il aime, tout est famille chez Vincent Balzano, le boulot, les amis, le quartier, le rugby : « Le quartier m’a façonné en tant que gamin et le rugby m’a appris des valeurs, notamment le respect et la fraternité ». Même quand il évoque ses terrains professionnels, il retourne au langage familial : « Le Luxembourg et la Lorraine, on s’est construits mutuellement et nous avons grandi ensemble ». Aucun mot ne traduit la domination de l’un sur l’autre : « Nous sommes dans un équilibre ». Cela sous-entend que la Lorraine n’a pas à rougir : « On a une chance de dingue. On a des emplois dans l’industrie, les services, la recherche, la haute technologie et j’en oublie. On a des écoles, la proximité du Luxembourg, qui nous amène une autre dimension. On a une palette de solutions incroyable. Quand vous êtes sur le quai de la gare, vous avez le choix d’aller bosser à Paris, en 1h20 avec le TGV, ou au Luxembourg, à Bruxelles, en Allemagne… Où est-ce qu’on trouve ça ailleurs en France ? » Et qui est-ce qui lui donne cette patate ? Sa famille, sûrement, d’abord, le premier cercle, ses enfants, sa compagne Sophie et son ex-épouse Marie-Jo, « deux femmes extraordinaires » qui l’inspirent et le ramènent aux essentiels, celui-ci par exemple : « Quand j’ai connu des échecs et des doutes, si je n’ai pas sombré, ce n’est pas parce que j’étais fort mais parce que je n’étais pas seul ».