La République. Une riche histoire initiée dans la Grèce antique mais un mot aujourd’hui galvaudé, une idée cent fois piétinée, une institution violentée sous les coups de menton d’une nouvelle internationale de l’autoritarisme. Pour Marcel Rebourset, combattant de la Première Guerre mondiale, avocat à Metz, résistant nommé Préfet de la Moselle par Charles de Gaulle à la Libération, la République témoignait d’une morale, d’un état d’esprit et s’écrivait au jour le jour comme un combat. L’universalisme éclairait son idéal de République. Il l’a défendue aussi vigoureusement que discrètement. Metz, enfin, baptise un lieu à son nom.
Coup de tonnerre en ces premiers jours de septembre 1944. Alors que les Allemands avaient entamé une retraite face à l’offensive des Américains, ils reviennent à Metz. C’est dans ce contexte d’une libération lente, décrite comme « un enfer », que Marcel Rebourset est nommé le 6 septembre 1944 par le chef de la France libre pour réinstaller la République en terre mosellane. Metz est finalement libérée le 22 novembre. La veille de ce jour historique, Marcel Rebourset écrit à son épouse, Marie, dans un style presque télégraphique et révélant la vitesse des instants : « 21 novembre 1944, 6h30. Ma chérie. Un mot en hâte. Je pars à Metz à 10 heures. Bien reçu valises et lettres. J’ai deux cache-cols et comme manteaux, deux pardessus, pelisse cuir et mon manteau préfet. J’entrerai avec le képi de sous-préfet de mon secrétaire général. On n’y verra que du feu. J’irai à Paris dès que le général de Gaulle sera venu à Metz. Ne te tracasse pas si tu es quelques jours sans nouvelles. Gros baisers à tous ».
Ce même jour, il prononce un discours à l’hôtel de ville de Metz. Au-delà du caractère du bonhomme, ce propos révèle, comme de nombreux autres écrits conservés par sa petite-fille Martine Gérardin-Rebourset (lire par ailleurs), une force littéraire : « Je n’essaierai pas de dissimuler l’émotion qui m’étreint. En arrivant au pied de la tour de la Mutte, qui a sonné le tocsin de vos alarmes, le glas de vos deuils et les Te Deum de vos espérances réalisées, j’ai revu les 21 années de ma vie d’homme passées au milieu de vous, où j’ai connu les satisfactions professionnelles, les joies familiales et les bienfaits de votre amitié. Et cependant mon cœur n’est pas en fête, car la bataille fait rage, nos quartiers sont dévastés, nos frères souffrent et meurent.« Il pleut dans mon cœur comme il pleut sur la ville » [Marcel Rebourset cite ici un extrait d’un poème du Messin Paul Verlaine, ndlr]. Cependant, je le sais, bientôt le soleil se lèvera et votre cathédrale, comme une grande dame en robe de parade, s’agenouillera dans la lumière… Mais je ne dois pas oublier que je vous salue au nom du Gouvernement de la République. Son chef, le général de Gaulle, a, dès ses premiers mots dans les jours sombres, affirmé qu’il ne déposerait les armes que lorsque la France serait restituée dans son intégrité par la délivrance de l’Alsace et de la Lorraine ».
« Metz et Langres étaient ses deux villes de cœur. Langres, sa ville de naissance, en 1890, au sein d’une petite bourgeoisie locale. Metz, comme une ville de renaissance », analyse Martine Gérardin-Rebourset, car Metz représente, outre une carrière préfectorale courte et intense, un destin professionnel, celui d’avocat, au pénal d’abord, qu’il abandonne après l’exécution d’un de ses clients pour se consacrer au droit des affaires. Il se distingue au cours de la Première Guerre mondiale, « il combat très jeune et sort de cette guerre avec le grade de capitaine, la Croix de guerre et la Légion d’honneur ». Le 28 juillet 1914, Marcel Rebourset écrit à ses parents depuis la bataille de la Marne. Le langage est plus cru : « Hier, avant de quitter nos tranchées, j’ai tiré mon premier coup de feu de la campagne, car dans les batailles, on a assez à faire pour conduire sa section ou sa compagnie. Un solide gaillard était à moitié sorti de sa tranchée. Nous avons tiré ensemble nous deux. L’autre est rentré dans son trou comme un diable dans sa boîte en brayant comme un âne. Je suis content d’en avoir amoché un (…) ». C’est possiblement au cours de ce conflit qu’il rencontre pour la première fois le capitaine Charles de Gaulle – les deux participent à la bataille de Champagne en tant qu’officiers – mais la version la plus courante fixe l’entrevue originelle à Metz, en 1937. Marcel Rebourset est avocat et président de l’association des Officiers de réserve, Charles de Gaulle, devenu colonel, dirige le 507e Régiment de Chars basé à Montigny-lès-Metz.
Son parcours se poursuit avec l’inaltérable esprit patriote. Marcel Rebourset combat en 1940, dans les campagnes de Belgique et de Hollande, avant l’armistice du 22 juin. Vient alors l’heure des choix. Capituler ou combattre ? Rallier la majorité ou faire don de son idéal républicain à l’infime minorité ? Rebourset opte pour les seconds et marche avec de Gaulle, qui appréciait en lui sa retenue, « l’homme pas très bavard ». Taiseux au point que sa petite-fille ne s’aventure pas à le classer politiquement : « Il était d’abord patriote et il n’a jamais appartenu à un parti politique. Il était surtout très imprégné des idées de Diderot, né comme lui à Langres ». Marcel Rebourset défend des causes éloignées des soucis de son époque, il s’oppose à la peine de mort ou se prononce pour une égalité salariale hommes-femmes. Rebourset le visionnaire, le taiseux, résistant aux folies nazie et collaborationniste, puis préfet résistant aux énergies vengeresses qui envahissent une Moselle libérée mais exsangue et divisée… quand les tranchées devenues invisibles dessinaient une autre guerre, sournoise et civile, confrontant les mémoires et les âmes d’une même famille, une même région, un même avenir à partager malgré tout. Marcel Rebourset, pour combattre sur ce nouveau théâtre d’opérations politiques, s’arme de patience, de rigueur, de compassion, aussi, pour ses malheureux compatriotes, et du devoir de vérité. En août 1945, sur la pointe des pieds et après avoir refusé les offres de carrière politique du général de Gaulle, devenu son ami, Marcel Rebourset rejoint son cabinet d’avocat. Non pour se terrer, ni se taire tout à fait, mais simplement vivre une passion et plaider la cause d’un autre pilier de la République : la justice.
À son grand-père…
« Marcel Rebourset, c’était un esprit, une éthique, une prestance. Il a mené son action de Préfet avec le souci constant de la réconciliation des Mosellans, combattant les exactions et les règlements de compte de la Libération, par exemple les femmes tondues ». Martine Gérardin-Rebourset (notre photo), ancienne journaliste et auteure et vivant aujourd’hui à Ancy, ajoute que son grand-père, bien au-delà des mondes patriotique, politique et judiciaire, a beaucoup inspiré sa propre famille. Derrière l’intellectuel plongé dans l’action, elle se souvient d’un digne Bourguignon, amateur de bons vins. Le vin, un fil parmi d’autres reliant ces deux fils de la viticulture : Marcel Rebourset, né dans une famille de négociants en vins, et Raymond Mondon, issu d’une famille de vignerons d’Ancy-sur-Moselle, par ailleurs stagiaire avant la Deuxième Guerre mondiale au sein du cabinet d’avocats Rebourset. Les deux hommes, mêmement résistants, se retrouvent à la Libération pour édifier la nouvelle destinée de ce territoire de l’est : Rebourset est préfet, Mondon est maire de la ville chef-lieu à partir d’octobre 1947. « Dans sa période préfectorale, il y avait régulièrement des vins d’Ancy au menu », confie Martine, conservant ces menus ainsi que des centaines d’archives, lettres, livres, photographies, documents officiels, et mobiliers, matériels et objets ayant appartenu à son grand-père. Une mine d’or, qu’elle révèle au public à travers une exposition installée dans le cabinet reconstitué de Marcel Rebourset. Une autre pierre à l’édifice de reconnaissance qu’elle bâtit patiemment. De réhabilitation, pourrait-on dire, d’un républicain exemplaire et longtemps oublié.
L’exposition est visible jusqu’à la fin du mois de décembre.
Prendre préalablement rendez-vous par mail : mediagaia@yahoo.fr