Dans la fosse d’un concert ou face à un écran de télévision, au volant de sa voiture ou dans sa cuisine, au bal, en boîte, à un mariage ou un anniversaire, qui n’a pas un jour chanté, souvent à tue-tête, Au bal masqué ohé, ohé, C’est bon pour le moral, Ça fait rire les oiseaux ? La chanteuse de la très populaire Compagnie créole, Clémence Bringtown, vit dans notre région depuis une douzaine d’années et elle y tient, elle adresse un merci aux Lorrains : « J’aime la mentalité des Lorrains, on se dit bonjour, on se sourit, on se parle, comme aux Antilles. La convivialité, ça existe encore ici, ce qu’on ne trouve plus par exemple à Paris. Je suis très très bien en Lorraine et je profite de cet entretien pour remercier les Lorrains de leur accueil ».
Clémence Bringtown ne précise pas la localité, elle dit simplement qu’elle vit en Lorraine. Désormais figure de la région, pourquoi cette Martiniquaise de naissance, Parisienne plus par nécessité que par plaisir, Toulousaine un temps, a finalement opté pour ces confins de France ? « Pour José [José Sébéloué, chanteur du groupe, décédé en septembre 2023 à Metz, ndlr] et moi, la Lorraine c’est une histoire d’amour depuis très longtemps. Au début, c’est un partenariat entre RTL au Luxembourg et Carrère [la maison de disques, ndlr] qui nous fait découvrir le Luxembourg. Nous venions y faire des émissions ou des spectacles. José et moi, on s’est fait des amis ici et on venait souvent se ressourcer à Mondorf-les-Bains ».
Déboule alors dans l’histoire le régisseur de la Compagnie, résidant près de Metz. Il lui organise régulièrement des événements médias dans la région. Clémence Bringtown lui lâche : « Trouve-moi quelque chose en Lorraine. Il croyait que je blaguais ». Elle insiste, elle aime la verdure lorraine et la mentalité des gens. Banco, Clémence Bringtown décroche le titre de Lorraine, de surcroît très pratique : « C’est très rapide, avec le TGV, pour aller à Paris et très confortable avec la fréquence de mes déplacements ». Surtout, très apaisant : « Quand j’étais à Paris, je sortais très peu. Ici, je me balade, je vais faire mes courses, je bouge ». Paris, malgré ses embouteillages et autres générateurs de stress, demeure toutefois un absolu, une étape essentielle où le groupe se forme et rencontre notamment Daniel Vangarde, producteur, parolier, compositeur, « passionné de musiques tropicales » et père du cofondateur de Daft Punk, Thomas Bangalter. Paris, où réside une symbolique du commencement, où les médias se concentrent, notamment la télévision qui ouvre grand la porte du succès à la Compagnie.
L’autre lancement de l’aventure est antillais. « En 1975, quand sort le premier disque, Ba Moin ti bo, je ne suis pas encore professionnelle mais j’ai commencé à faire des émissions. En 1982, nous faisons Blogodo, un album complètement créole. C’est l’époque où Julien, José et Guy rejoignent Arthur à Paris, moi je les rejoins après. Blogodo, double disque d’or, a bien marché dans les Dom-Tom, les Antilles, le Pacifique ». 1983, c’est le déclenchement, C’est bon pour le moral, le succès se francophonise, le public s’étoffe, bien que le titre n’emballe pas illico le groupe : « Au début, on ne voulait pas chanter ça, ce n’était pas notre style, on voulait faire notre album en créole ». Ils se rangent finalement à cet avis : « Il faut que le public comprenne le message et les mots ». Revers de la médaille, on leur reproche de ne plus chanter antillais, de « chanter pour les Blancs ». Aucune polémique ne gêne pourtant l’ascension du groupe, le succès s’installe, allumé par des disques d’or et de platine, l’élevant au rang de légende des années 80 et d’ambassadeur, à la fois des parlers et musiques créoles et de la francophonie.
Au-delà des airs, des mots et de leurs significations, la popularité de la Compagnie créole – aujourd’hui encore – tient de sensations puissantes, d’une ambiance de fête, d’une célébration de sentiments amoureux et amicaux et d’une « énergie puisée dans le gospel », dixit la députée de Moselle, Isabelle Rauch, qui remettait en novembre 2023 les insignes de chevalière dans l’ordre des Arts et des Lettres à Clémence Bringtown. La Compagnie créole allégorie du bonheur, bien sûr. Mais les coups durs s’invitent aussi dans l’histoire, dont le décès en novembre 2023 de José Sébéloué. Clémence Bringtown pose des mots délicats sur cette douleur encore vive : « José était généreux et très humain et notre projet de gospel lui tenait à cœur, car en dehors de donner de la joie à travers nos spectacles festifs, nous avons voulu faire passer des messages de paix, d’amour et de fraternité. José était le leader de la Compagnie, il a fait vibrer le public avec sa voix, il n’aurait pas aimé qu’on arrête la Compagnie, et on continue, c’est une façon de lui rendre hommage ».
Ça continue donc, tournée internationale en vue (dates et lieux sur lacompagniecreole.eu) et un double album de Noël sorti en cette fin d’année. Noël inspire diversement la chanteuse, heureuse et interrogative : « Nous avons bien sûr, comme tout le monde, nos problèmes. Mais quand nous sommes sur scène, nous savons que le public vient pour oublier ses problèmes, il vient pour faire la fête. Il y a un tel enthousiasme que nous oublions aussi nos problèmes et c’est formidable. Les gens nous le disent souvent : on a tous vos disques mais on vous préfère sur scène. Il y a un vrai partage et cette fidélité nous a permis de tenir bon ». Et malgré tout, de conserver intact le symbole de Noël, « fête de partage » : « Ce qui me chagrine aujourd’hui, c’est que plus on évolue, plus les pauvres meurent dans la rue. Plus on va sur la lune, plus il y a d’incompréhensions et d’inhumanité. Aujourd’hui, à la télévision, ce ne sont que des nouvelles qui nous plombent le moral, il n’y a plus de rêve ». Tout de même un peu, quand Clémence allume les souvenirs du bar que tenait sa mère : « À partir du mois de novembre, ce n’était plus un commerce, c’était un lieu de convivialité où tout le monde venait boire, manger, chanter Noël. C’était toujours une fête de l’espoir, on se disait : ça ira mieux l’an prochain ». Alors, trinquons à Clémence, à sa maman, à la Compagnie créole, à demain et à la force des proverbes : Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.
La télé c’est bon pour le moral !
Elle les a tous connus et fréquentés, les Michel Drucker, Patrick Sébastien, Maritie et Gilbert Carpentier, Jean-Pierre Foucault, Jacques Martin. Elle a foulé avec ses compères toutes les grandes scènes du petit écran, les Ring Parade, Numéro 1, Les rendez-vous du dimanche, Dimanche Martin, Champs-Elysées… « C’était l’époque des grandes émissions de variétés, on a eu de la chance de connaître ces animateurs ». Selon le journaliste musical du Monde, Stéphane Davet, l’appui de Guy Lux et Patrick Sébastien sera particulièrement déterminant pour le lancement du premier titre majeur, C’est bon pour le moral. Ça cartonne, 500 000 disques vendus en France, égalité avec Elton John. En 1983, la Compagnie créole, à peine entrée dans la notoriété, s’installe sur la seconde marche des présélections françaises de l’Eurovision, avec Vive le douanier Rousseau. « Il nous arrivait, certains dimanches, de passer trois fois à la télévision, sur trois chaînes, les gens déjeunaient et dînaient avec nous », se souvient Clémence Bringtown. La chanteuse et danseuse, née au Robert en Martinique, n’imaginait pas cette carrière, elle se destinait à un métier dans le secteur médico-social : « Je voulais soigner et aider les gens ». Douche froide pour son paternel quand il voit sa fille rejoindre la troupe des saltimbanques : « Mon père était très altruiste et m’encourageait dans cette carrière médico-sociale. Quand je lui ai dit que je voulais chanter, il m’a dit : mais ce n’est pas un métier ! » Un père naturellement inquiet et pourtant très fier : « Quand je passais à la télé, il regardait malgré les décalages horaires, et après les spectacles, il fallait que je l’appelle depuis ma chambre pour lui raconter comment ça c’était passé ».