Née dans la même ville qu’Agatha Christie, à Torquay au sud-ouest de l’Angleterre, arrivée en France en 1998, Helen Hammond est élue depuis quinze ans à Sierck-les-Bains, dans un Pays des Trois-Frontières qui lui va comme un gant, Conseillère déléguée puis Adjointe et finalement Maire depuis 2020. D’abord professeur d’anglais au collège de Sierck, aujourd’hui traductrice indépendante, elle se passionne pour le tourisme, économiquement vital dans cette cité où le château aux airs de citadelle, résidence disait-on « favorite des ducs de Lorraine », domine une Moselle en méandres, magnifique, et des paysages de vignes envoûtants. Elle revient sur son parcours, non sans humour. (*Bienvenue à Sierck !)
C’est cash, naturel et spontané, Madame le Maire dit ce qu’elle pense. Elle exprime, avec le sourire et sans calcul, les grandeurs et les misères, les plaisirs et les tourments, de la mission de Premier magistrat : « J’ai rencontré Laurent [Laurent Steichen, maire de 2008 à 2020, NDLR] à un moment où il cherchait du monde pour constituer sa prochaine liste. Je menais à l’époque beaucoup d’actions au collège dont le Téléthon. Il m’a demandé si ça m’intéressait, j’ai dit oui, l’aventure a commencé comme ça. Plus tard, lorsqu’il a décidé d’arrêter, il m’a proposé de prendre sa succession. Dans l’exercice de ce mandat, il y a des hauts et des bas ». Un grand écart à gérer, semblable au chemin cabossé qui mène de la théorie à la pratique lorsque Helen Hammond découvre la France et la Lorraine : « Quand on apprend l’histoire et la géographie de la Lorraine, on imagine immédiatement l’industrie. La vallée de la Fensch est exactement l’idée qu’on se fait, de loin, de la Lorraine et de la Moselle. Mais en fait, c’est une autre réalité. Beaucoup de gens viennent ici, et emménagent par exemple à Sierck, pour la douceur de vivre. Ils viennent pour le Luxembourg mais aussi pour la qualité de vie. Ici, on a le château, la vue sur la Moselle, très agréable. Ils viennent pour notre gastronomie ; là aussi, je ne pensais pas que la Lorraine avait une aussi riche multitude de produits gastronomiques locaux, mais il faut reconnaître qu’on est un peu le parent pauvre de l’Alsace, on a autant de spécialités locales que les Alsaciens mais on ne les met pas en avant de la même façon ».
L’atmosphère à Sierck s’apparente effectivement à certains bords de la Loire nous renvoyant à la mythique « douceur angevine ». Même expérience, même décalage lorsqu’elle se confronte au réel de la langue française. Cartes rebattues. Helen Hammond : « J’ai fait des études de langues, en français et en allemand, ainsi que des études européennes et internationales en Angleterre. Pour la licence, nous devions faire une année à l’étranger et je suis allée à Belfort en tant qu’assistante d’anglais. Ça a été en quelque sorte un choc. Il y a un grand écart entre ce qu’on apprend à la fac et la vraie vie. J’ai vécu une immersion complète et là j’ai constaté, au-delà de la pratique réelle de la langue, des différences culturelles énormes. On ne s’imagine pas l’art de vivre à la française où on passe la journée à table. Les jours de fêtes en France, je n’imaginais pas ça, on arrive à 11h30 et on quitte la table à 16h30 ou 17h, on fait un petit tour digestif dans le village et on se remet à table pour continuer, et j’aime ça. J’ai été plutôt bien accueillie en France. Les Français aiment bien les étrangers… Ils aiment bien aussi faire remarquer aux étrangers qu’ils sont étrangers ». Un fait plutôt juste. Et plutôt cocasse dans les pays comme la Lorraine où l’étranger et l’autochtone finissent par se confondre et tissent de concert, de longue date, l’histoire de la région.
Pour la maire franco-britannique, cette caractéristique lorraine, et mosellane et sierckoise, constitue une force. Elle n’est d’ailleurs pas seule à Sierck débarquée des outre-frontières : « Ici, c’est très cosmopolite, il y a une Sud-africaine, une Américaine, des Ivoiriens, des Portugais, des Allemands bien sûr, et une population luxembourgeoise grandissante. La moitié de la population active de Sierck-les-Bains bosse au Luxembourg. À Sierck, on travaille beaucoup sur des actions transfrontalières, on a tissé des liens avec nos voisins, Schengen au Luxembourg et Perl en Allemagne et nous faisons partie d’une association regroupant douze communes des trois pays qui travaillent ensemble pour valoriser la vallée de la Moselle. L’idée générale, c’est de mettre en valeur ce qui nous rend uniques ».
Parmi les autres actions menées, Helen Hammond cite « deux gros chantiers de rénovation urbaine, en voie de finition : la réfection du quartier aux abords du château et le quartier de l’église où il fallait faire l’assainissement et rafraîchir la rue, donc on a déplacé le monument aux morts, on a refait la rue, le parvis de l’église. Notre souci est aussi de maintenir le dynamisme économique et touristique ». Le tourisme, son dada. Rappelant que Sierck et le Pays des trois frontières forment l’une des grandes destinations de Moselle, elle énumère les points forts – un patrimoine remarquable, le calme, la nature, un terrain idéal pour les cyclotouristes, la gastronomie, les vins « qui montent en gamme », les marchés de Noël « avec 37 000 visiteurs l’an dernier », les marchés nocturnes les 1ers vendredis de juillet et août – et les points faibles, dont le manque d’hébergement, notamment de milieu de gamme : « Il y a vraiment une marge de progression dans ce domaine ». Une appétence, et une compétence certaine, pour les sujets d’attractivité touristique, à tel point qu’elle ne dirait pas non à un autre mandat. Franco, elle balance : « J’irais bien au Département, ça m’intéresse beaucoup, ça bouge depuis une dizaine d’années, il y a une dynamique touristique, on se met davantage en avant ». Assurément devenue Mosellane, elle voit s’éloigner l’époque de la connexion, de l’immersion et de ce rendez-vous avec son mari mosellan (ex-mari désormais) : « J’avais rempli ma voiture et on s’était donnés rendez-vous sur l’aire de Metz-Saint-Privat, j’avais encore ma Micra avec la conduite à droite, en fait c’est lui qui m’a rapatriée en Moselle et j’y suis restée ». « Filer à l’anglaise », elle adore cette expression.
Les Britanniques de Moselle
On a pour habitude, lorsqu’on évoque le melting-pot mosellan, de convier les Italiens, les Polonais, les Algériens, les Marocains, les Allemands et Luxembourgeois. On pense moins à convoquer la Grande-Bretagne. Certes moins nombreux, on trouve ici ou là des Britanniques, dans des secteurs professionnels variés, ou simplement venus vivre leur retraite. Outre la maire de Sierck-les-Bains, citons l’artiste-peintre Wayne Sleeth, résidant à Château-Salins, arrivé il y a une vingtaine d’années en Moselle, par amour : « Je travaillais sur une fresque en Angleterre et arrive un jour une belle Française, en programme Erasmus, il y eut le déclic tout de suite. La suite de l’histoire, c’est que j’ai fait beaucoup d’aller-retour Metz-Londres et c’était très fatigant, je suis donc resté ici ». Au village d’Ancy-Dornot, se propagent aussi quelques délicieux parfums d’outre-Manche, grâce à deux personnages pareillement délicieux. Ils sont amis. Peter Hercombe, né sur l’île de Skye en Écosse, fou amoureux de la nature et ancien grand reporter à la BBC, vit ici. Né ici, issu d’une grande famille d’Ancy, Clément Courouve vit à Cambridge où il enseigne le français dans la prestigieuse université. Après des études d’anglais à Metz, qui le « destinait naturellement à l’enseignement de l’anglais, le destin a voulu que le choses se passent autrement. Avant de prendre mon premier poste en France, j’ai été assistant de français dans des collèges et lycées de Grande Bretagne et c’est là que je suis tombé amoureux du pays… et d’une Anglaise ».