Le 31 mai 1996, à l’occasion de la dénomination de nouvelles allées à Bellecroix, un débat s’est instauré sur l’orthographe précise du nom de la famille Gournay…Un bon moment, et comme souvent, de la repartie et de bons mots !
Dominique Gros a toujours montré, au sein du Conseil et bien avant son accession au fauteuil de premier Magistrat, son intérêt pour l’histoire locale. Ce soir-là, Georges Dour, conseiller délégué, avait en charge de proposer la dénomination de « l’actuel chemin noir qui relie l’avenue de Lyon (IRA) à la rue du Maréchal Juin … en allée Claradine le Gornaix ». Cette proposition avait un triple objet. D’abord, clarifier une situation de doute car il existait un autre chemin noir à Devant-les-Ponts. Ensuite, mettre à l’honneur une famille patricienne messine, à savoir les Gournaix. Enfin, rappeler le caractère viticole de l’endroit, puisque Claradine, celle qui était à l’honneur en ce jour, possédait une vigne au XVe siècle à cet endroit.
Le conseil municipal touchait à sa fin, le climat était serein : c’était sans compter avec l’opiniâtreté de Dominique Gros, seul orateur inscrit sur ce point et qui intervint en ces mots : « Monsieur le Maire, j’ai eu l’occasion de dire, en commission des Finances, je le répète ici, que la famille de Gournaix, cela ne s’écrit pas comme ça, …, si l’on adopte l’une des 30 orthographes différentes qui ont été constatées dans les différents écrits de Philippe de Vigneulles et de quelques autres, on aura toujours une orthographe différente. Je propose que Gournaix s’écrive Gournay, comme l’Hôtel de Gournay… Madame Sary (ndla : la directrice des affaires culturelles) nous a dit que c’est la famille des gens qui ont eu une trentaine d’échevins. C’est bien la même ».
Le Maire Jean-Marie Rausch répond à fleurets mouchetés, comme disent les escrimeurs : « Que voulez-vous, elle nous a dit aussi l’autre jour que les us et coutumes voulaient ça. Écoutez, si jamais un jour, dans trois, quatre, cinq siècles, on vous fait un monument, et que vos descendants s’appellent G.R. et bien, on ne va quand même pas écrire G.R.O.S. ». S’ensuit une discussion entre les conseillers Gros et Dour, que Jean-Marie Rausch ponctue de la manière suivante : « Bien. Ça suffit. Il n’y a pas d’opposition ? C’est adopté. Point suivant ».
Rappelons que les Gournay (ou Gournaix !!!), importante famille de banquiers, ont joué un rôle primordial dans la République messine, période faste de la ville de Metz, débutée en 1234 par la chute du pouvoir épiscopal et terminée en 1552 avec le rattachement des Trois-Évêchés à la France. La terminologie, à laquelle Dominique Gros faisait allusion et que l’on retrouve effectivement dans les récits médiévaux, fait évoluer leur patronyme de Le Gronnais, Le Gournaix à De Gournay. 46 d’entre eux (et non une trentaine comme évoqué en séance) ont exercé la fonction suprême de maître-échevin, c’est-à-dire le maire de l’époque. Ils n’étaient pas élus au suffrage universel, mais choisis parmi les grandes familles bourgeoises, dont certaines étaient regroupées en Paraiges, dans des quartiers spécifiques (Porsaillis, Outre-Seille, Jurue, Porte-Moselle et Saint-Martin.
La présence de ces puissantes familles est encore visible aujourd’hui, certaines de leurs merveilleuses bâtisses agrémentent toujours le centre-ville : les hôtels Saint-Livier, de Gournay, de Gargan, de la Bullete, de Burtaigne sont là pour en témoigner.
La République messine
La « République messine » (1234-1552) est une période qui voit le pouvoir local passer, en douceur, de l’évêque à une bourgeoisie développant une activité commerciale et financière. Le qualificatif de « République » est issu de la comparaison (pas très modeste, convenons-en !) faite avec la prestigieuse Venise : une administration locale, une activité commerciale intense, une aristocratie non belliqueuse voire pacifique, une ville relativement ouverte sur l’extérieur. Metz comptait à cette époque 30 000 habitants, ce qui en faisait une place importante de l’Europe du Moyen-Age. Les Gournaix (Gournay), prestigieuse famille de banquiers, en ont été un élément majeur.