Les Glorieux, une immersion dans l’âme lorraine à travers une centaine de portraits de personnalités emblématiques voire atypiques. L’auteur, Vianney Huguenot, nous invite à redécouvrir notre ancienne région sous une plume généreuse. Savante et populaire.
Votre livre Les Glorieux rassemble une centaine de portraits lorrains sélectionnés parmi 800 que vous avez écrits en 18 ans. Comment avez-vous procédé pour opérer cette sélection et quels ont été les critères déterminants qui ont guidé vos choix ?
Il y a d’abord eu la recherche d’équilibres, entre les départements (il y a 30 % de Mosellans, 26 % de Vosgiens, 24 % de Meusiens et 20 % de Meurthe-et-Mosellans), mais aussi entre les contemporains et les anciens et entre les différents secteurs de la société, l’économie, les arts (culinaires, littéraires, chansonniers…), le sport, l’histoire, les sciences, les médias, le cinéma… Ce qui a surtout guidé mon choix dans la sélection, c’est la réflexion que chacun d’entre eux suscite. De naissance ou d’adoption, ce sont tous des Lorrains qui nous interrogent sur nos vies et sur un certain nombre de sentiments et de valeurs : l’audace, le doute, la solitude, la colère, la passion, l’amour, le plaisir, la trahison, la fidélité…
Vous surprenez le lecteur en intégrant des personnalités moins habituellement associées à la Lorraine. Pouvez-vous nous citer un ou deux exemples de ces personnalités et nous expliquer en quoi leur connexion avec la Lorraine enrichit le tableau que vous peignez de cette région ?
Deux personnalités reviennent souvent dans les discussions, au cours de séances de dédicaces, ce sont Jeanne de Funès et Alexis de Tocqueville. L’épouse de Louis de Funès est Lorraine – elle est née à Nancy – mais elle a quitté très jeune la région, après la mort de son père à Verdun, puis la mort de sa mère ayant contracté ce qu’on appelait « la fièvre des tranchées », alors qu’elle venait reconnaître le corps de son mari dans un hangar de Bar-le-Duc. Je ne peux pas dire que le parcours de Jeanne a été bâti par sa naissance lorraine mais elle incarne bien la combativité des Lorrains, car on oublie souvent ce que lui doit son mari dans l’accomplissement de son extraordinaire carrière. Quant à Alexis de Tocqueville, l’un des plus grands philosophes politiques du monde, il passe trois ans de sa jeunesse à Metz – son père est alors préfet de Moselle – et ce sont trois années fondatrices où il découvre de nouveaux auteurs, qui lui étaient jusqu’alors interdits, où il découvre l’amour et des catégories sociales qu’il n’avait pas l’habitude de fréquenter. Tocqueville est le porteur de l’image d’une Lorraine nourricière et généreuse, qui contribue à enrichir le parcours de gens venus d’ailleurs, qui eux-mêmes enrichissent notre région, par leur travail et leur culture, qu’ils soient Français, Polonais, Maghrébins ou Italiens.
Vous comparez votre livre à un hall de gare où différents « mondes désaccordés » se côtoient avant de prendre le train, destination Lorraine. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette métaphore et comment elle reflète la diversité et la complexité de la Lorraine que vous dépeignez ?
Le hall de gare est l’un des rares lieux, avec le bistrot, où se côtoient et se croisent des gens très différents. C’est ça la Lorraine et c’est le cœur de mon livre : le brassage, la culture du mélange. On devrait de temps en temps se poser, s’enfermer dans une bulle et imaginer un monde où tout le monde se ressemble, qu’est-ce qu’on s’ennuierait ! La métaphore du hall de gare, où tout le monde embarque dans le même train, signifie aussi que la construction d’une région, de son image, de sa puissance, de son identité – à supposer qu’il y en a une commune – n’est pas l’affaire d’un microcosme. J’aime beaucoup les parcours de Jules Ferry et Robert Schuman par exemple – notamment parce que ce sont des personnages complexes – mais au-delà de ces grandes personnalités illuminant nos livres d’histoire, c’est une ribambelle d’acteurs qui écrit le roman de la Lorraine, avec ses aspects à la fois mystérieux et lumineux et la foule des sentiments contradictoires et désaccordés. Il y a parmi les cent portraits un juge et un assassin, des communards et des curés, des anars et des ministres, des déprimés et des flamboyants, des héros et des salauds, des premiers de la classe et des laissés pour compte, bizarrement jetés dans les oubliettes de l’histoire.
Votre livre a été publié en partenariat avec France Bleu Lorraine, et il est préfacé par l’ancien juge Gilbert Thiel, tout en étant illustré par Philippe Lorin. Pouvez-vous nous parler de ces collaborations et de la manière dont elles ont enrichi votre ouvrage ?
Elles ont non seulement enrichi l’ouvrage mais elles sont au commencement de tout. En fait, ce livre est une histoire d’amis. L’aventure France Bleu a démarré il y a plus de dix ans, avec Annick Le Ny, responsable des programmes, qui m’a un jour demandé de « chroniquer » sur France Bleu Alsace après avoir lu mon livre sur les bistrots. Je suis aujourd’hui toujours sur les ondes de France Bleu Lorraine qui compte beaucoup de personnalités attachantes. Gilbert Thiel est un ami et j’aime autant sa noblesse de coeur, sa philosophie de la vie, sa gouaille et sa plume que j’admire son parcours quasi héroïque. Philippe Lorin est aussi un ami et son talent et son élégance me touchent beaucoup. Il y a aussi les médias dans lesquels ces portraits ont été initialement publiés, depuis 2005. Je pense à l’Est Républicain où j’ai fait mes débuts dans la presse, à l’agence de Saint-Dié, ainsi qu’au Courrier messin et aux magazines Bonnes Terres et l’Estrade. L’entrée dans l’aventure de l’Estrade, aux côtés d’Aziz Mébarki, correspond à mon arrivée sur Metz, il y a dix ans. Une aventure trépidante, par ailleurs accélérateur d’intégration dans un département de Moselle que je connaissais peu et que j’ai appris à découvrir et à aimer. D’une façon générale, j’aime bien mener des aventures avec des amis et des gens de confiance, ça double le plaisir de la création, et par ailleurs je n’oublie jamais ceux qui m’ont aidé, c’est pour moi une règle d’or.
Quelle importance accordez-vous aux rencontres, en salon ou en librairie, avec les lecteurs, et quel type d’échange espérez-vous instaurer à travers ces moments de partage ?
La rencontre avec le lecteur est essentielle. C’est l’occasion d’apporter des précisions et de recevoir la critique, qu’elle soit positive ou négative. La rencontre, physique, sur le terrain, fonde mon credo journalistique. On ne s’approche réellement de la vérité qu’en multipliant le recueil d’avis, de regards, de paroles et d’opinions variés. « Il faut aller voir », dit toujours le baroudeur et ancien grand reporter Claude Vautrin, un ami qui m’a souvent inspiré. Il est de ces cent Glorieux.