Après avoir captivé les lecteurs avec La Fondation, Sébastien Paci frappe encore plus fort avec Bloody Mafia, un thriller sombre et percutant où se mêlent mafia albanaise, trafic de sang rare et corruption d’État. Entre tension narrative maîtrisée, personnages inoubliables et réalisme glaçant, l’auteur nous dévoile les coulisses de son écriture, ses inspirations et son regard acéré sur un monde où la loi du plus fort règne sans pitié. Entretien.
Après la trilogie de La Fondation, vous proposez un roman très différent avec Bloody Mafia. Qu’est-ce qui vous a amené à explorer cet univers du crime organisé ?
J’avais déjà donné une teinte plus sombre à La Colère du ciel, la dernière partie de la trilogie de la Fondation où l’on retrouvait quand même la présence de réseaux puissants au fonctionnement mafieux. Ils y déployaient toute leur énergie pour empêcher les protagonistes d’avancer dans leurs enquêtes. Les milieux « underground » constituent, de manière générale, des ressorts narratifs très puissants pour un écrivain qui peut puiser l’inspiration dans ces univers où ne compte souvent que la loi du plus fort, et ce, sans grands états d’âme. Dans Bloody mafia, c’est la mafia albanaise, réputée pour être particulièrement violente, qui est à la manœuvre. Avec ses rituels codifiés et son organisation très hiérarchisée, c’est du pain béni pour un auteur… J’ai aussi pris grand plaisir à camper des personnages qui n’ont vraiment pas froid aux yeux !
Bloody Mafia mêle thriller, drame humain et enjeux de santé publique. Comment avez-vous construit cette intrigue complexe entre criminalité et raison d’État ?
La construction de mes romans est capitale pour moi : ils sont pensés selon une architecture complexe que j’organise à la manière des feuilletons. Le déroulé de l’intrigue n’est jamais linéaire et les chapitres se terminent toujours par un cliffhanger. Le travail de préparation est donc très important ! En effet, plusieurs histoires s’entrecroisent, alors pour qu’un rythme se dégage et que l’intensité narrative soit toujours bien soutenue, j’élabore patiemment le plan du texte grâce à des centaines de post-it qui envahissent tout mon bureau. Ce n’est qu’après cette phase qui prend plusieurs mois qu’intervient le travail d’écriture…
Votre livre aborde le vol de poches de sang rare, notamment le groupe sanguin hh dit « Bombay ». Comment avez-vous découvert cette réalité médicale et pourquoi en faire un élément central du récit ?
Je ne me rappelle plus ce qui m’a mis sur la piste du sang rare… C’est en promenant mon chien que souvent me viennent des idées ! J’ai certainement dû entendre quelque chose à la radio ou dû lire un article sur les réseaux… Le lien avec la criminalité et les plus hautes sphères politiques s’est construit ensuite presque naturellement. En plaçant l’intrigue à une époque de pénurie de sang, j’ai pu travailler les rapports, fantasmés bien sûr, entre le crime organisé et la corruption des élites.
La violence est omniprésente dans le roman, notamment à travers le personnage de Mirjan Hohxa. Comment avez-vous travaillé cette dimension du récit ?
J’ai adoré faire vivre ce personnage hors normes. C’est fantastique, en tant qu’écrivain, de pouvoir exprimer toute sa rage, sa violence contenue et finalement la part la moins reluisante de sa personnalité par l’entremise d’un personnage de roman aussi fou ! Une amie m’a écrit : « Le monde a besoin de cette parole et de ce regard unique sur la toute-puissance du mal [avec] ce décalage entre ton être lumineux et cette écriture depuis les ténèbres, là où personne ne t’atteint. » Elle a parfaitement cerné la situation ! En même temps, elle me connaît très bien.
Bloody Mafia met en lumière plusieurs problématiques contemporaines : la criminalité transnationale, les tensions autour du don du sang, la détresse psychologique de certains individus… Aviez-vous une volonté de proposer un roman engagé ?
Non, je n’ai pas écrit un roman engagé. Absolument pas. Certes, il aborde les problématiques que vous avez mentionnées mais aussi des situations où il est question de pédocriminalité, de préjugés raciaux et certainement d’autres sujets que j’ai instillés de façon inconsciente. Maintenant, il est clair que si mes textes peuvent faire passer des messages et susciter une prise de conscience, eh bien c’est fantastique ! Je n’ai pas une âme de militant mais j’ai des valeurs pour lesquelles je demeure intransigeant. Je ne supporte ni le repli sur soi ni les idées rances à tendance brune.
Comment s’est déroulée la phase de recherche pour Bloody Mafia ? Avez-vous consulté des experts en criminologie ou en santé publique ?
Comme toujours, cette phase est constituée d’entretiens et de recherches documentaires. Pour ce roman, j’ai été amené à interroger des médecins et des infirmiers. C’était passionnant parce qu’en fonction des échanges, j’ai modifié la trame initiale de l’intrigue. Les recherches documentaires ont porté sur les mafias, sur la géographie, sur la mécanique, sur les armes à feu, sur le théâtre… Bref, j’accumule une somme considérable de données qu’il faut ensuite digérer. C’est un travail colossal et même s’il est passionnant, il est aussi très fastidieux.
Une partie des droits d’auteur du roman est reversée à la Fédération Française pour le Don de Sang Bénévole. Pourquoi ce choix, et avez-vous un engagement personnel sur ce sujet ?
Après avoir décrit les conséquences d’une pénurie de sang, qu’il soit rare ou pas, je ne pouvais pas rester insensible à cette cause qui nous concerne tous. J’ai beaucoup d’amies qui sont donneuses bénévoles de sang, de plasma et de plaquettes. J’aimerais les accompagner mais je suis hypochondriaque au plus haut degré et la vue du sang me fait tomber en syncope ! C’est donc ma modeste contribution à cette cause qui me touche parce qu’elle est désintéressée et profondément humaniste.
Avez-vous des influences littéraires ou cinématographiques qui ont nourri votre écriture en général, et celle de ce roman en particulier ?
C’est peut-être davantage le langage des séries que celui du cinéma qui inspire la composition de mes romans. En tout cas, il y a un rapport évident aux images. Pour ce qui est des influences littéraires, elles doivent être nombreuses parce que j’ai beaucoup lu et dans tous les genres mais je ne peux pas dire que, consciemment, j’ai puisé mon inspiration dans l’œuvre de tel ou tel auteur que j’aime et il y en a beaucoup : de Malet à Daeninckx en passant par Manchette mais aussi de Camus à Le Clezio en passant par Ernaux… Mon métier d’écrivain est un métier que je conçois essentiellement comme artisanal : il faut apprendre des maîtres et trouver sa propre voie. Je suis en prise avec la matière lexicale que je modèle en remettant sans cesse l’ouvrage sur le métier.
Avez-vous d’autres projets d’écriture en cours ? Pensez-vous prolonger l’univers de Bloody Mafia avec une suite ou un autre roman dans le même genre ?
J’ai attaqué mon cinquième roman, j’en suis à la phase préparatoire et je vais bientôt commencer le travail de construction du plan. Ce sera dans un tout autre domaine que celui de la mafia et des sangs rares mais j’aimerais beaucoup que Nicolas Séverac et son entourage deviennent des personnages récurrents. Je m’attache beaucoup à mes personnages et je prends beaucoup de plaisir à leur donner une existence de papier… En fait, je les considère comme des personnes à part entière ; comme des amis que j’aimerais côtoyer dans la vraie vie.
Votre roman pourrait-il faire l’objet d’une adaptation audiovisuelle ? Avez-vous eu des contacts en ce sens ?
Tous mes lecteurs me l’ont dit pour la trilogie : ces romans pourraient sans problème être adaptés au petit ou grand écran. Je pense qu’il en est de même pour Bloody mafia, et peut-être davantage encore… Les lecteurs et les lectrices me le confirmeront ! Mais comme je vous le disais, mes romans se prêtent particulièrement bien à la transposition audiovisuelle. En tout cas, pour l’heure, il n’y a pas eu de contacts en ce sens mais j’espère que des producteurs entendront votre question et surtout ma réponse pour que des projets aboutissent ! Inch’Allah…

ETT/ Éditions Territoires Témoins / Collection Borderline – 256 pages – 23 €
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