Le vendredi 25 février 1982 est un jour particulier dans l’histoire du Conseil municipal. Lors de cette séance, Georges Dour propose au titre des points divers l’attribution du nom de boulevard Solidarité, en hommage au syndicat ouvrier polonais, à une partie du Boulevard de la Défense, et irrite par là-même un adjoint qui souligne que la proposition n’est pas passée par la commission adéquate.
Georges Dour était un personnage particulier dans le Conseil municipal. Particulièrement proche du Maire, auprès duquel il effectuera tous les mandats de 1971 à 2008, il était un ouvrier imprimeur, syndicaliste, avec son franc parler et une certaine indépendance d’esprit, qui n’avait d’égale que sa fidélité au premier Magistrat. Conseiller délégué chargé de « son » quartier de Borny, Georges Dour a donné ce soir-là une belle leçon de démocratie directe en faisant voter une décision qui n’était passée ni par la commission concernée, ni par le bureau municipal. Il attendit les points divers pour planter sa banderille :
« Je voudrais vous proposer une nouvelle motion pour soutenir la lutte des travailleurs polonais. J’aimerais surtout vous proposer de débaptiser le Boulevard de la Défense et de le dénommer boulevard Solidarité ». L’Adjoint Louis Boob, huissier de Justice de profession, rappelle la procédure habituelle en ce cas :
« Ce point n’est pas passé par la Commission compétente … c’est un projet sympathique, d’accord, mais qui mérite réflexion et, personnellement, je ne suis pas très partisan de prendre une décision ce soir. Il y a une commission qui est habilitée à examiner le changement de dénomination des rues. Je crois qu’il n’y a qu’à saisir cette commission dans ce domaine … ».
Georges Dour ne se laisse pas démonter et revient à la charge avec un argument de poids :
« Je signale que toutes les commissions ne font que des propositions. Or, je peux également vous soumettre une proposition, ce qui revient au même et c’est le Conseil Municipal seul qui est souverain et c’est lui seul qui doit trancher… ». Le Maire entre alors dans le jeu, non sans une certaine gêne : « Monsieur Dour a raison et Maître Boob a raison, mais le Conseil municipal est toujours au-dessus de toutes les commissions … ». L’intervention de Marie Judlin, adjointe aux Affaires culturelles et donc présidente de la commission compétente pour l’attribution des noms de rues, sera déterminante :
« Je suis vraiment très favorable à la proposition faite par Monsieur Dour … ».
Elle sera aidée en cela par son collègue Maximilien Hohl qui rajoute : « Le conseil municipal peut décider, pas la commission … ». Le maire conclut, en donnant son avis favorable et en mettant aux voix : « En ce qui me concerne, j’estime qu’on a peut-être un peu tendance actuellement à oublier le drame polonais et je ne m’oppose pas du tout à une telle demande ». L’affaire est faite : la motion de Monsieur Dour, mise aux voix, est adoptée par 27 voix et 2 abstentions (dont certainement celle de Maître Boob !). Le « maire de Borny » aura réussi son coup, et nul ne sait à ce jour s’il a été prémédité et préparé avec Jean-Marie Rausch. Mais il n’y a que le résultat qui compte, et celui-ci est probant.
Rappelons que « Solidarité » (Solidarność) est une fédération de syndicats polonais, fondée le 31 août 1980 par Lech Walesa. Ce que le Maire qualifie de « drame polonais » fait suite aux évènements de la nuit du 13 au 14 décembre 1981, au cours de laquelle Walesa avec toute la direction de Solidarność fut arrêté par la police. Le syndicat est « suspendu » par décret du général Jaruzelski, avant d’être interdit quelques mois plus tard.
L’appellation de cette voirie reste encore trop souvent transformée, par méconnaissance du public, en « boulevard de la Solidarité ».