Ce n’est pas parce que son nouvel album fraîchement sorti se nomme In spiral que Jean-Pascal Boffo tourne en rond. Voilà près de 50 ans qu’il égrène ses notes de guitare pour lui et nombre d’artistes, et plus de 30 qu’il sert la musique des autres derrière une table de mixage. Indissociable d’une partie de la scène régionale, le personnage est aussi discret que son parcours est riche.
La modestie, c’est la house du talent » disait Aurélien Scholl (1). Force est de reconnaître que Jean-Pascal Boffo n’a pas remisé la sienne au fin fond du flight-case d’une de ses guitares. Moins secret que réservé, cet homme avoue volontiers consacrer à la musique 99,5 % de son attention pour tout ce qui touche à la culture, découvertes comprises (Madison Cunningham par exemple, ou Laura Perrudin). Où le folk, le jazz et autres univers aventureux tiennent aujourd’hui plus de place que ce rock progressif qui l’embarqua très jeune vers les rivages de la création. Auquel on a tendance à réduire ses disques quand bien même ils voyagent aussi vers l’Orient ou l’électro.
Happé très jeune par la musique, le plongeon a été individuel. À travers ce qui passait à la radio à la fin des années 60 et qu’il enregistrait dès l’âge de 7 ans avec le magnétophone à cassettes familial. « Je fabriquais de fausses pochettes de disques découpées dans les cartons, et reconstituais en miniature des scènes de concerts imaginaires dans des boîtes à chaussures bricolées. Tout était là dès le départ : la musique, le spectacle et le son. J’ai vraiment eu très tôt la passion du son. » La suite est moins singulière. Des copains plus âgés, la découverte des disques de Deep Purple et Led Zeppelin à leur sortie. Dans la foulée, l’envie de monter un groupe et le besoin devenu impérieux d’avoir une guitare, réclamée depuis des années. « Le batteur m’a montré les premiers accords ! Je ne voulais pas aller à l’école de musique comme le conseillait mon père. » Premier groupe donc, Larsen, avec des reprises de Pink Floyd. Puis Déjà Vu, orienté folk avec des reprises de Crosby, Still, Nash & Young.
Jusqu’au second choc musical : ce concert de Genesis à Sarrebruck en 1975, sur la dernière tournée avec Peter Gabriel. « Ça m’a retourné, durablement. Pour la petite histoire, lorsque Musical Box, cover band officiel du groupe, m’a demandé de faire ses premières parties dans les années 2000 à La Haye et l’Olympia, ils jouaient le même répertoire. Celui qui m’a donné le goût du rock progressif. Ce qui m’a toujours plus attiré, bien plus que les mélodies, c’est l’harmonie. Dans le rock ou la chanson, ce sont toujours les mêmes suites d’accords. Dans le prog il y a une richesse harmonique et des progressions d’accords qui sortent de l’ordinaire. » À l’époque Jean-Pascal Boffo n’était déjà pas insensible au jazz écouté par le père, et il s’est déjà ouvert à Stravinsky ou Ravel. « Aujourd’hui encore, je peux écouter Le Tombeau de Couperin n’importe quand, j’ai les poils qui se dressent. Et on retrouve ce type de changements d’harmonie dans le progressif. »
Son parcours a maintes fois été relayé ici ou là. À peine une année de guitare dans les doigts, Jean-Pascal Boffo est appelé à intégrer Mandragore, l’un des groupes en vue de la région. Il a juste 15 ans. Moins de 10 ans plus tard, il décide de voler de ses propres ailes. Et sort un album solo en 1986, Jeux de nains. Premier d’une longue série, variant les formes au gré de ses inspirations et autres rencontres musicales. Quelques heureuses surprises à la clé, comme cette commande de Serge Levaillant en 2000 pour le générique de son émission Sous les étoiles exactement (France Inter), utilisé jusqu’en 2013. « Il m’a dit que j’étais son guitariste préféré. Je suis tombé de haut. »
Fallait-il y voir le choix d’une simple démarche solitaire ? C’est oublier que Jean-Pascal Boffo s’est toujours entouré de musiciens partageant affinités et vision sur tel ou tel projet. Grossissant au fil du temps le noyau d’une famille musicale, à taille humaine, nourrie d’amitiés indéfectibles et de sincérité.
Il n’a jamais remisé derrière la guitare sa seconde passion, la prise de son. Il monte en 1991 ce fameux studio AMPER (Association Musicale Pour l’Expansion du Rock) au dernier étage de la Maison des Associations de Clouange, où seront enregistrés près de 300 albums sous son oreille aussi rassurante que sereine. La fameuse compilation Lorraine d’Enfer en 1991, la plupart des siens, ceux du duo Alifair formé en 2001 avec Aurore Reichert, ceux de nombres de formations ou artistes tel Christian Descamps (Ange). Quantité sont passés entre ses mains, des jazzmen Murat Öztürk ou Julien Petit, à Chapelier Fou, Cascadeur, Caroline Crozat, Louis Ville, Jo Cimatti, Philippe KEL Jonquel, Alicia Hiblot (pour Alice s’émerveille puis Alice Arthur)… laquelle réalise aujourd’hui les clips de Jean-Pascal. Autant de collaborations et d’histoires d’amitiés pour celui qui admet être maintenant « plus à l’aise derrière les consoles que sur une scène ». Des histoires de fidélité au long cours où s’inscrivent aussi Séraphin Palmeri, Pierre Cocq Amann…
Aujourd’hui, il s’affaire à un projet en duo avec le chanteur Florent Simon. Et file un coup de main à ce nouveau et sensible duo féminin, Ormaie, formé d’Aurore Reichert (Mira Cétii) et d’Élodie Kimmel.
Cet homme inspire les rencontres, suscite les envols artistiques – logique pour un artiste dont on retrouve régulièrement dans le répertoire les thèmes du voyage, du ciel, des étoiles ou de l’espace. Une manière d’agrandir sans fin le cercle de sa communauté musicale. En spirale.
(1) – écrivain, journaliste et artiste du XIXe siècle