ÉDITO
Nous goûtons la joyeuse invasion des vœux. Prenons-les comme une invitation à rester (encore un peu) dans l’esprit des fêtes, comme une marque d’attention et d’affection de ceux qui marchent à nos côtés vers l’inconnue. Comme Michel Audiard, confessant qu’avec l’âge il passait plus de temps à échanger avec son pharmacien qu’à philosopher avec son patron de bistrot préféré, je me surprends à prendre désormais au sérieux le « bonne santé ! » qui coiffe le « bonne année » et promène son adverbe comme une chienne de vie en laisse : « surtout » la santé !
Mais la belle tradition des vœux se transforme en banal réflexe au fur et à mesure que nous n’y croyons plus. Signe d’un temps gris et brun que personne n’a vu venir si brusquement. Les cataclysmes – notamment le résultat de l’hyper-paupérisation de sociétés jadis prospères, l’effondrement de nos démocraties et le dérèglement climatique – ne sont plus des sujets d’études distrayant quelques savants au fond de leurs laboratoires, ni même les spasmes inquiétants du corps social diagnostiqués épisodiquement dans les sondages, ils se métamorphosent à la vitesse de la lumière et deviennent réalité, rampante et vivante, tels les loups de Reggiani à nos portes. À la fin de la chanson interprétée par Serge Reggiani, Alain Vidalie suggère « l’amour et la fraternité » pour conjurer le chaos. Certes.
Les loups venant, une question devient centrale et donne le tournis. Sommes-nous en capacité de désamorcer la bombe que représente la culture de l’affrontement permanent et désormais pleinement démocratisé par l’avènement des réseaux sociaux ? L’histoire nous instruit sur l’incroyable capacité de résistance, d’invention et de refondation de l’homme… mais aussi sur son aptitude à renoncer et épouser les thèses les plus folles, hurlées par des pyromanes ou chantonnées par d’habiles comédiens, aboutissant toujours à des activismes meurtriers.
En 2024, soyons rebelles, innocents, simples, tendres, polis, gentils, amoureux, émerveillés par une marée de coquelicots, émus aux larmes par un enfant qui chante (même faux), solidaires avec les vieux, solitaires si vous voulez, attablés avec des amis, assoiffés de parlottes avec nos dissemblables, capitaines d’une barque échouée, commandants d’une armée de chats de gouttière, chefs d’espadrilles, curieux de tout, surtout des petits rien. L’idéologie guerrière et financière nous ordonne d’être agressifs, cupides, dominateurs et cyniques. Soyons l’inverse, soyons fous !