ÉDITO
Les auditions de dirigeants de chaîne, dans le cadre du renouvellement des attributions de fréquences de la TNT, créent un débat parallèle, public, sur les lignes politiques et éditoriales des médias. La crispation est palpable sur le cas des télés détenues par Vincent Bolloré, accusées de servir la soupe à l’extrême-droite. Attrapons ce conflit, assez typiquement français, avec des pincettes et observons notre histoire : elle est dominée par la question des opinions qui, de tous temps, ont gouverné les rédactions et/ou les actionnariats.
De l’hebdomadaire Gringoire, devenant au fil des ans un relais fasciste et menant une campagne de calomnies contre Roger Salengro, le ministre de l’Intérieur du Front populaire, l’acculant en 1936 au suicide, au quotidien Libération, défini diversement, « d’extrême-gauche » ou « libéral-libertaire », dont les choix furent régulièrement vivement contestés ; on se remémore à cet égard la publication de la pétition pro-pédophilie en 1977 (publiée également dans Le Monde), ou la tribune de Marguerite Duras en 1985, lue comme un réquisitoire contre Christine Villemin, malgré les avertissements du directeur de la rédaction sur la « liberté d’écriture de l’artiste ».
Le journaliste est-il un artiste ? Dans son écriture, c’est mieux. Dans son exposition des faits, ça se discute. Si d’un côté du canal, l’émetteur de l’info livre sa personnalité, il en est de même de l’autre côté : le récepteur encaisse rarement les faits avec froideur. On entre tous dans un reportage sous l’influence de nos sentiments, de nos croyances et allégeances. La variété du paysage médiatique français constitue un atout qu’en enfants gâtés nous méprisons. Quand les uns dessinent France Inter comme un repaire de macronistes, les autres la décrivent peuplée de gauchistes.
Cette vision double révèle la tentation du confort d’être dans un camp. Elle souligne aussi une époque redoutant le débat ; pas le débat pif-saucisson des entre-soi, mais le débat tout-terrain, qui nous compare et nous confronte à l’importun. Frédéric Taddéï vise juste lorsqu’il met en relief cet autre trait du moment : « Les gens écoutent ce qu’ils veulent entendre ». La question sur l’attribution d’une fréquence à Cnews – à laquelle je répondrais oui – excite le microcosme mais elle n’est pas centrale. L’essentiel est de donner des clés au citoyen pour qu’il sache distinguer les médias et leurs objectifs respectifs. Intégrons bien le phénomène d’internet, permettant à tous les médias de diffuser gratuitement la quintessence de leur message. Désobéissant à la loi morale d’un clan médiatique décrété penseur cosmique (de Sophia Aram à Pascal Praud), le citoyen averti fonctionne finalement comme un journaliste, il puise partout, il croise ses sources, il est infidèle.