Directeur de l’Institut supérieur des enquêteurs en risques professionnels (ISERP), Christian Bos, évoque ici les principales difficultés rencontrées dans l’identification et le traitement des situations de harcèlement en milieux professionnels.
Christian Bos œuvre depuis plus de 15 ans dans le domaine des relations sociales. Il démarre en 2008 par la médiation, méthode qui a fait ses preuves dans le traitement de relations conflictuelles dans divers environnements : familial, conjugal, professionnel… Il se spécialise ensuite dans l’audit et plus particulièrement dans la qualité de vie au travail. Il visite régulièrement des entreprises ou des administrations pour réaliser un état des lieux concernant le bien-être au travail des employés, tout en exerçant ses fonctions de juge au CPH de Metz.
C’est fort de cette expérience sur le terrain que Christian Bos a décidé de créer un institut spécialisé dans le traitement des cas de harcèlement. Le harcèlement moral ou sexuel, le sexisme et la discrimination au travail sont des sujets sérieux et il est primordial de les traiter avec le plus grand professionnalisme.
Entretien
Quelles sont les difficultés que rencontrent les différents acteurs de l’entreprise dans la gestion des risques professionnels ?
On observe tout d’abord un éveil de la part des employés concernant le harcèlement et les formes de discrimination, qui se retranscrit par une augmentation du nombre de signalements. Sur le terrain, on constate un manque de sensibilisation, d’information et de formation sur les enjeux du harcèlement, ce qui peut empêcher une prise en charge efficace et adaptée de ces situations. Les enquêtes réalisées en interne par des collaborateurs peuvent aussi souffrir d’un manque d’objectivité perçue par les employés ou les partenaires sociaux, qui peuvent douter de l’impartialité, de la neutralité et de l’indépendance des enquêteurs vis-à-vis de l’employeur.
De l’autre côté, le terme « harcèlement » peut parfois être utilisé par les employés comme un moyen de pression pour négocier des conditions de départ favorables, ce qui complexifie la résolution des cas. Enfin, comprendre et verbaliser la souffrance au travail est essentiel, car derrière chaque alerte ou sentiment exprimé se cache souvent une réelle détresse qui se doit d’être traitée avec attention et précision. Plus précisément : mettre des mots sur des maux.
Quelle a été la principale motivation derrière la création de l’ISERP ?
Nous avons remarqué une augmentation significative des procédures judiciaires, principalement liées à des cas de souffrance au travail. Cette augmentation s’accompagne d’un turnover élevé et de nombreux arrêts maladie, engendrant des dysfonctionnements organisationnels et dégradant les relations entre collègues. Face à l’augmentation de la demande des entreprises pour des formations sur le harcèlement et les méthodes d’enquête, nous avons identifié un besoin crucial d’améliorer la qualité des enquêtes et le professionnalisme des enquêteurs.
En effet, de nombreuses enquêtes sont menées avec légèreté et des rapports sont rendus avec amateurisme. Certains se révèlent être des rapports de complaisance ou des pseudo-audits. Par ailleurs, il est fréquent que les entreprises nomment un référent harcèlement uniquement par obligation légale, sans pour autant le former pour gérer ou enquêter en cas de situations de harcèlement moral. Pire encore, même en présence de référents harcèlement, nous avons constaté dans certaines entreprises l’absence de procédures internes visant à protéger les salariés souhaitant dénoncer de tels agissements.
Vous parlez de protection, quels sont les droits des personnes dénonçant ces cas ?
Le Code du travail est très clair là-dessus, aucun témoin ou personne dénonçant un acte de présupposé harcèlement ne peut se voir sanctionner par l’entreprise. Et ce même si l’enquête conclut que le cas signalé n’en est pas un. C’est-à-dire que l’employé ne peut pas être sanctionné par une procédure disciplinaire, une mutation, être écarté d’un poste, voir son contrat non-renouvelé ou être licencié pour ce motif. Et dès lors qu’un cas de harcèlement, de discrimination ou de sexisme est dénoncé à l’employeur, ce dernier est dans l’obligation légale de diligenter une enquête.
Quels sont les risques pour l’employeur de ne pas traiter les situations de harcèlement lorsqu’il en a connaissance ?
Au-delà de l’obligation légale et du risque de lourdes sanctions en cas d’inaction de l’entreprise, mener une enquête pour traiter le cas signalé permet aussi de mieux prévenir les possibles incidents futurs. L’employeur a l’obligation de former et d’informer ses collaborateurs sur le harcèlement sexuel ou moral, la discrimination et le sexisme. Cela contribue à maintenir un environnement de travail sain pour l’ensemble des collaborateurs. De plus, cela permet d’éviter les fausses dénonciations (propos dilatoires ou diffamatoires) et de mettre un terme aux mauvaises pratiques managériales.
Un cas de harcèlement peut également révéler ou masquer d’autres problèmes de mal-être ou de souffrance au travail, indiquant des dysfonctionnements plus profonds au sein de l’organisation. Comment l’ISERP permet de faire avancer le sujet ?
En mettant en place plusieurs initiatives structurées. D’une part, la création d’un groupement spécialisé pour mener des enquêtes en cas de suspicion de harcèlement (GERP). D’autre part, la création d’une école (ENERP) destinée à former des enquêteurs, qu’ils soient internes à une entreprise ou consultants externes. Cette formation unique en Europe est cruciale car mener une enquête nécessite des compétences spécifiques. L’enquêteur doit non seulement maîtriser toutes les techniques d’enquête, mais aussi connaître parfaitement la législation et comprendre le comportement humain afin de pouvoir conduire son enquête efficacement. L’enquête ne laisse aucune place à l’amateurisme.
Quelles sont vos 3 motivations dans la conduite d’une enquête ?
La recherche implacable de la vérité pour mettre en évidence les faits tels qu’ils sont. Sans préjugé, exagération, interprétation ou ressenti.
Déceler les manipulateurs quel que soit leur statut : auteur identifié, présupposée victime ou témoin pour révéler toutes les facettes du dossier
Produire un rapport juste et détaillé afin de permettre aux autorités de se positionner et/ou de sanctionner adéquatement les coupables de harcèlement, de discrimination, de sexisme, de diffamation, de délation et tout autre comportement toxique.
Renseignements :
ISERP
2 bis rue Lafayette 57000 Metz
Tel : 03 87 50 81 51
Formation : formations@enerp.fr
Enquêtes : enqueteurs@gerp.fr