Le vendredi 25 octobre 1929, lendemain du tristement célèbre « Jeudi noir » qui a vu la bourse de New-York connaitre un krach sans précédent, les débats du Conseil municipal de Metz s’enflamment autour d’un sujet beaucoup plus modeste : la dénomination de nouvelles rues, et particulièrement deux rues créées dans la cité-jardin de Devant-les-Ponts, village rattaché à la ville de Metz depuis le 1er avril 1908.
Le point 5 de l’ordre du jour n’aurait jamais dû poser de problème particulier…
Rapporté par l’adjoint Gabriel Hocquard (futur maire de 1938 à 1940 puis de 1944 à 1947), il consistait à « dénommer » deux rues au Sablon (Émile Boilvin, Aimé de Lemud) et sept à Devant-les-Ponts. Si le cas des voiries sablonnaises a fait l’unanimité, il n’en est pas de même pour les prépontoises. Cinq d’entre elles recueillent l’unanimité : Pascal Monard, Adolphe Bellevoye, Dupré de Geneste, Emile Michel et Jean Baptiste Le Prince sont des personnalités consensuelles. Le problème apparaît alors pour les deux propositions restantes, qui n’honorent pas des personnalités mais… des fruits : en l’occurence, les fraises et les mirabelles !
L’adjoint Hocquard est sur des charbons ardents, celà suite à l’avis défavorable de la Commission des finances quelques jours plus tôt sur ces deux propositions « maraîchères ». Il engage le débat en veillant bien à prendre moult précautions oratoires mues par une grande prudence.
L’élu prend soin, en préambule, de rappeler les grands axes de l’hodographie municipale : « …Nous devons aimer rappeler à nos contemporains des noms de gens qui ont vécu à Metz, ont aimé notre cité et ont contribué à son rayonnement. Notre ambition doit être que les plaques indicatrices de nos rues soient des pages de l’Histoire de Metz, toujours ouvertes, à la curiosité de nos concitoyens… Mais là où ma tâche est plus épineuse, c’est quand j’ai à vous proposer deux noms bien paisibles pourtant, bien parfumés et bien messins : les fraises et les mirabelles. L’attitude que j’ai observée chez presque toutes les personnes quand on leur suggère ces deux noms savoureux, c’est un doux sourire avec une pointe d’ironie. Ce fut la première attitude de la Commission Artistique… Après les noms de lieux-dits qu’il faut absolument maintenir, mais qui sont trop rares, après des noms de Messins célèbres, ce sont des fleurs et des fruits, bien choisis, qui s’imposent… ». Hocquard en vient au cœur du sujet.
Il dresse alors le panégyrique de la fraise « dont la culture ne remonte pas bien haut… mais qui est une prospérité de la ville ». Puis il aborde celui de la mirabelle « de plus haute Noblesse, consacrée par quatre siècles d’histoire messine ». En vain !
Le conseiller Haffner prend la parole et, pour sa part, développe un réquisitoire en règle, dont les paroles conclusives vont faire mouche : « Je proteste contre la dénomination des rues à Devant-les-Ponts de « rue des Fraises » et de « rue des Mirabelles » et affirme n’avoir vu à Nancy ni « rue des Bergamotes » ni « rue des Macarons » ; à Dijon ni « rue du Pain d’épice » ni « rue de la Moutarde », pas plus que « rue du Pinard » à Montpellier… ».
Logique implacable ! La messe est dite : fraises et mirabelles seront retirées de l’ordre du jour mais reviendront néanmoins par la grande porte le 24 janvier 1930.