L’équipe féminine de Metz Handball – les fameuses Dragonnes – domine le championnat national depuis trente ans. Elle vient d’aller chercher un nouveau sacre, le vingt-quatrième, tandis que son entraîneur, Emmanuel Mayonnade, empoche un sixième titre de « meilleur entraîneur de l’année en ligue féminine ». Fierté mais pas de quoi lui faire tourner la tête : « C’est une récompense honorifique qu’il convient d’attribuer à l’ensemble d’un staff ». À contre-pied de la théorie du bocal – au centre d’une de ses lectures du moment, La civilisation du poisson rouge – l’énergie et la philosophie de Manu Mayonnade puisent au-delà de l’univers du club. Il s’extrait du microcosme, tâte le pouls du monde et se passionne pour la littérature, l’histoire ou la politique. Bavardage ensoleillé avec un Girondin « heureux à Metz ». On lui promettait pourtant l’enfer.
Pas l’envie de devenir astronaute ou pompier, Emmanuel Mayonnade conserve des bancs de l’école de son bassin d’Arcachon natal « le souvenir d’avoir voulu très vite faire de l’entraînement. C’est assez fou, j’ai toujours été passionné par les interactions entre joueurs. Moi même, j’étais un joueur de handball moyen, j’ai joué en 4e division et j’ai été très vite capitaine, j’ai toujours eu des responsabilités comme celle-ci. Je pense que c’est aussi la conséquence d’un parcours familial, mon papy était président et fondateur d’un club de handball, mon tonton l’a entraîné, mes parents se sont rencontrés autour de l’activité handball et quand j’étais gamin, à 13 ou 14 ans, je m’entraînais avec l’équipe première féminine de Mios [en Gironde] qui évoluait déjà en première division. Ça a été pour moi un apprentissage hors du commun ». Il raconte les trente minutes de route en voiture avec son oncle entraîneur, les jours de match : briefing à l’aller, débriefe au retour, confronté aux « ressentis des joueuses » qu’il avait recueillis. « C’est là que j’ai eu le sentiment d’apprendre mon futur métier ».
Avec le temps, l’expérience, sa vision du poste d’entraîneur s’est élargie : « Notre objectif est d’avoir le meilleur résultat possible en sachant que pour l’atteindre, ça passe par un épanouissement des salariés et des joueuses qui composent la structure. Je le dis depuis plusieurs années, je ne suis plus prêt à tout pour gagner des matchs, j’ai besoin d’être en adéquation avec mes valeurs. Il n’y a pas de star dans l’équipe, tout le monde doit respecter le projet de vie et le projet de jeu qu’on a édictés ensemble. Aujourd’hui, quelqu’un qui traîne des pieds à l’entraînement, je m’en passerai le week-end. Il y a toujours un équilibre à préserver et le bien-être des joueuses qui composent l’effectif est pour moi fondamental, au-delà des compétences sportives ». La mission d’entraîneur, plus complexe que l’image envoyée par la télévision les jours de matchs – le gars qui gueule au bord du terrain et se ronge les ongles – s’apparente à un jeu d’équilibriste, intégrant l’assemblage de talents, le moral des troupes, la cohésion, la cohabitation des ambitions collectives et individuelles.
L’histoire du club, la culture du hand, la proximité avec les supporters, différente d’autres sports, s’immiscent aussi dans la dynamique. Illustration avec le déplacement en Hongrie pour la Ligue des champions : « On a vécu il y a quelques temps un week-end extraordinaire au Final 4 en Hongrie où Metz Handball avait été en capacité de déplacer presque 500 personnes à Budapest, tous vêtus de jaune dans les tribunes pour accompagner l’équipe. Les joueuses étaient avec les supporters et on a fait une fête assez extraordinaire, je pense que ça en dit long sur l’état d’esprit du handball à Metz et du hand en général. On est très reconnaissants des gens qui nous accompagnent et nous témoignent quotidiennement leur amour avec des engagements financiers et humains très conséquents. Venir en Hongrie, on sait tous ô combien ça coûte de l’argent ».

Peut-être la clé du succès, Manu Mayonnade prend son pied dans le hand et ailleurs. Dans la littérature : sa table de chevet héberge trois ou quatre livres en même temps, dont présentement le Magellan de Stefan Zweig et La civilisation du poisson rouge de Bruno Patino : « Le poisson rouge tourne dans son bocal. Il semble redécouvrir le monde à chaque tour. Les ingénieurs de Google ont réussi à calculer la durée maximale de son attention : 8 secondes. Ces mêmes ingénieurs ont évalué la durée d’attention de la génération des millenials, celle qui a grandi avec les écrans connectés : 9 secondes. Nous sommes devenus des poissons rouges… », écrit en accroche l’éditeur Grasset. Pas question pour Manu Mayonnade de danser la gigue du bocal, il goûte peu aux réseaux sociaux : « Je ne suis pas curieux sur ce que fait mon voisin de droite ou de gauche, sur ce qu’on dit de moi, pas du tout. Je suis juste sur Instagram pour capter des images et des infos par exemple sur les autres sports »… Dont le FC Metz et les Girondins de Bordeaux qu’il suit de près et pour lesquels il se dit « très peiné ». Son épanouissement personnel passe par des retours au pays, trop rares, et une intégration heureuse à Metz et en Moselle : « Avant d’y monter, il y a six ans, tout le monde me prédisait l’enfer en termes de météo et de tempérament et, en fait, je m’y sens très très bien, j’adore les gens qui m’accompagnent au quotidien et ceux que je rencontre anonymement dans la rue. Le coin est superbe. Il manque juste un point d’eau pour amener un peu de courants d’air. Si le bassin d’Arcachon pouvait se transposer un peu par ici… ». D’y penser nous rafraîchit déjà.
Ne pas perdre de vue l’essentiel
Chez les Dragonnes, ça cartonne depuis trente ans. La saison 1988 lance la série à succès : 24 trophées en championnat, 10 coupes de France, 8 coupes de la Ligue. De son côté, Emmanuel Mayonnade additionne les exploits plus personnels – récemment élu « meilleur entraîneur de l’année en ligue féminine » pour la sixième fois – un titre qu’il veut collectif : « Il y a de la satisfaction et de la fierté mais c’est une récompense honorifique qu’il convient d’attribuer à l’ensemble d’un staff. Vraiment, ce n’est pas de la démagogie, je ne suis pas tout seul à gérer tout ça, j’ai un préparateur physique incroyable, j’ai une adjointe qui est superbe, qui sont aujourd’hui devenus de vrais amis, il y a un staff médical qui m’accompagne aussi dans certaines prises de décision, c’est un vrai travail d’ensemble et puis il ne faut pas perdre de vue l’essentiel, les joueuses sont quand même actrices prépondérantes dans les succès de la structure ».