François Sauvadet, président de l’Assemblée des Départements de France, tirait, hier 18 juin, la sonnette d’alarme sur l’effondrement financier des Départements français. Deux jours avant, Patrick Weiten, président du Conseil départemental de la Moselle, dénonçait en séance plénière du Conseil départemental, une République technocratique déconnectée des réalités locales. À Maizières-lès-Metz, il a livré, pour sa part, un plaidoyer sans détour pour défendre l’autonomie des territoires et réclamer un sursaut national.
Le 18 juin 2025, l’Assemblée des Départements de France a franchi un seuil symbolique : le « jour du dépassement ». Ce jour-là, les Départements, privés de compensation de l’État, assument seuls les prestations sociales nationales comme le RSA, l’APA et la PCH. Pour François Sauvadet, président de l’ADF, la situation est limpide : « Nous sommes dans une situation financière intenable. On va droit dans le mur. »
Ce diagnostic n’a rien d’exagéré au regard des chiffres. En dix ans, la part des dépenses sociales dans les budgets départementaux est passée de 55 % à 70 %. En Moselle, le président Patrick Weiten partage cette inquiétude et l’ancre dans les réalités concrètes de son territoire. Devant les élus réunis à Maizières-lès-Metz pour la troisième réunion trimestrielle du Département, il a dénoncé la spirale descendante imposée aux collectivités locales : « Est-ce cela, la République ? Une République qui impose et qui décide sans consulter ni écouter ? »
Une République qui impose, des Départements qui encaissent
Le constat est brutal. En Moselle, les dépenses sociales ont augmenté de 10 % en 2024, soit près de 40 millions d’euros supplémentaires. Pendant ce temps, la dotation globale de fonctionnement reste gelée depuis 2017. Et pour 2025, 8 millions d’euros de ponctions supplémentaires sont encore envisagés par l’État. Weiten dénonce une République « verticale, technocratique, descendante », et réaffirme son attachement à une République « solidaire, enracinée, décentralisée ».
Il pointe aussi l’hypocrisie d’un gouvernement qui promet sans suivre d’effets. La fameuse prime Ségur, censée soutenir les personnels médico-sociaux, reste inégalement financée. « Depuis avril, toujours rien. Aucun détail sur le calcul, aucune visibilité sur les années antérieures. Ce flou fragilise nos établissements», déplore-t-il. En Moselle, les 109 EHPAD affichent un taux d’occupation de 96 % et un déficit de 300 places. Une équation budgétaire et humaine devenue insoutenable.
François Sauvadet, de son côté, dénonce l’explosion du RSA : +1,7 % de dépenses à la seule charge des Départements. « Rien que pour le mien, ça représente un million d’euros supplémentaires », indique-t-il. Patrick Weiten ne dit pas autre chose : « Le RSA est au cœur des discours ministériels, on parle d’accompagnement renforcé. Très bien. Mais où sont les moyens ? Où sont les contrats ? »
Solidarités sans ressources : une impasse constitutionnelle
Derrière les acronymes – RSA, ASE, APA, PCH – se cachent des réalités humaines : « Des vies fragilisées que nous devons protéger avec dignité », martèle Weiten. En Moselle, un habitant sur quatre bénéficie directement des politiques sociales départementales. Pourtant, les leviers d’action financière se réduisent comme peau de chagrin.
En 2022, les Départements disposaient de 8,5 milliards d’euros d’épargne nette. Fin 2025, ils n’en auront plus que 200 millions. Trente-trois Départements sont déjà au bord de la rupture budgétaire. « Chaque euro dépensé pour compenser le désengagement de l’État est un euro en moins pour rénover un collège, entretenir une route, équiper les secours », dénonce Sauvadet. En Moselle, cette équation est également tangible : le budget pour l’enfance atteint 142,6 millions d’euros en 2025, en hausse de 28 % depuis 2020. Et pourtant, l’État n’est toujours pas au rendez-vous.
Patrick Weiten rappelle que la Constitution garantit deux principes fondamentaux : la libre administration des collectivités territoriales et la compensation intégrale des charges transférées. « Nous ne serons jamais une agence de l’État », assène-t-il. D’autant plus que le Conseil constitutionnel, en février 2025, a rappelé que les contributions des collectivités ne peuvent dépasser 2 % de leurs recettes de fonctionnement – un seuil déjà dépassé.
Derniers remparts et budgets à bout de souffle
Les réponses locales existent, mais elles s’épuisent. Le Département de la Moselle a investi 201 millions d’euros en 2024, tout en respectant ses équilibres budgétaires. L’épargne brute s’élève encore à 66,1 millions d’euros, un matelas de précaution pour une année 2026 qui s’annonce « blanche », selon les termes employés par Bercy. Pas d’indexation sur l’inflation, pas de revalorisation, aucune visibilité pluriannuelle : « C’est intenable. C’est insoutenable », martèle Weiten.
Le budget supplémentaire voté cette semaine – 71,25 millions d’euros – traduit pourtant la volonté de « continuer à investir pour les Mosellans malgré la sécheresse budgétaire organisée par l’État ». Onze millions d’euros de dépenses nouvelles ont été engagées pour répondre à l’urgence sociale, à l’usure des infrastructures et aux besoins d’accompagnement.
Mais ce volontarisme a ses limites. Les dispositifs comme Ambition Moselle – 1 125 projets accompagnés depuis 2020 – pourraient être remis en question dès 2026. Une nouvelle formule d’aide départementale devra être inventée, plus adaptée aux contraintes nouvelles. « Sans une politique d’aménagement du territoire, nos villages s’étiolent. L’isolement guette. Les services ferment », prévient Weiten.
Une solidarité nationale en question
Pour Sauvadet comme pour Weiten, ce qui est en jeu dépasse les chiffres. C’est une certaine idée de la solidarité nationale qui vacille. L’un comme l’autre refusent de voir les Départements réduits à une fonction de gestionnaires d’austérité. Ils demandent à l’État d’assumer les décisions qu’il prend, de financer les prestations qu’il impose, de restaurer les marges de manœuvre locales. « Nous devons dire non aux transferts de charges non compensés. Non à la recentralisation déguisée. Non à l’affaiblissement silencieux des Départements », proclame Weiten. Sauvadet va plus loin encore : « Vous n’avez plus de ressources, vous avez les dépenses qui augmentent. Vous ne pouvez même pas emprunter parce que vous ne pourrez pas rembourser. »
Les deux hommes, chacun à sa place, posent la même question à l’exécutif : jusqu’où faudra-t-il aller avant que l’État entende l’appel des territoires ? Avant qu’il comprenne que « la solidarité ne se décrète pas depuis Paris », mais qu’elle se construit sur le terrain, au plus près des Français ?