ÉDITO
« Une ville se partage et on le comprend mieux en pratiquant ou en testant tous les modes de déplacement. »
Je vous accorde que j’accoste ici un sujet bien léger au regard de l’actualité pesante qui inonde les ondes. La guerre ravage un pays ami aux portes de l’Europe et, hélas ou heureusement, la vie continue. Nos petites histoires poursuivent leur route…
Ainsi, l’engueulade que je me prenais récemment sur une bande cyclable de la Ville peut allumer tout de même une réflexion relativement essentielle (pour l’essence des choses, c’est comme à la pompe, il existe des variations).
Depuis que je suis en âge de rêver aux galbes fabuleux de la Paulette d’Yves Montand, dans la chanson À bicyclette, j’assume une sympathie presque sectaire pour les cyclistes, ces êtres aériens, silencieux, économes et musclés. Mais alors que je franchissais le cap de la fin des songeries sur les dessous de Paulette, mon médecin, rustre malgré lui et automobiliste même le week-end, m’éjectait dans le monde réel. Pour corriger un appétit des tablées au long cours, il me conseillait de marcher. J’entrais alors dans le cercle rondement sympathique des militants du pedibus-jambus.
Metz, je l’ai découverte ainsi, avec mes baskets et mes pas lents. Un jour, mes yeux agrippés sur une gargouille en Jaumont véritable, je m’approchais et marchais bêtement sur une piste réservée aux vélos. Tandis que je réceptionnais le mot d’accueil d’un pédaleur revenant du marché, « pousse-toi de là » (je traduis ici en termes policés), un mur de mon monde s’effondrait.
Je continue pour autant de collaborer à la confrérie des gentils pratiquants du vélo, râlant régulièrement contre ces 4×4 monstrueux qui bouchent l’horizon et ces manifs d’automobiles, nommées bouchons, aux revendications nébuleuses. Je n’oublie jamais, quand j’embarque ma petite personne dans mon automobile à essence sans plomb (hybride, s’il vous plaît), de gueuler contre les cyclistes chauffards, sans lumière et sans vergogne, les bus aux heures de pointe, ralentissant scandaleusement la circulation, ou les piétons qui traînent la savate sur les passages protégés. En traversant la rue à pied, il m’arrive aussi de brailler contre les aventuriers du nouveau monde, faisant le trottoir en chevauchant une trottinette électrique. J’attrape aussi les bus, heureux de dominer le ras de chaussée. En poinçonnant mon ticket, qui ne se poinçonne plus comme au temps des Lilas mais se bipe, je bombe le torse, fier de me transporter en commun et de sauvegarder la planète.
Morale de mon histoire ? Accessoirement fondamentale. Une ville se partage et on le comprend mieux en pratiquant ou en testant tous les modes de déplacement.