ÉDITO
Les Français sont-ils le miroir des mémés de Nougaro* ? On aime la castagne, pas de doute, et le monde nous observe parfois avec stupeur : comment ce pays réputé lettré et ingénieux, élevant de raffinés mets et vins, peut-il ériger l’échauffourée en sport national ? Astérix est témoin, on en rit de bon cœur, n’oubliant pas la leçon de Cocteau : « Le rire est la preuve d’une âme excellente ».
Puis, tragi-comédie de la vie, on passe du rire aux larmes. On pleure du boucan persévérant et du bazar institutionnalisé, abîmant l’image de la France et sabotant la fierté des Français pour leur pays ; un sentiment décrit faussement, dans la confusion des mots – autre sport national –, comme un patriotisme exacerbé.
Différencions la castagne du débat et de la critique, et même de la polémique propre à la démocratie. Je parle de cogneurs maladifs, obsédés par l’idée d’émerger un jour du chaos qu’ils fabriquent. Cette faction de pyromanes – pas si nombreuse, mais si bruyante – croit à tort que les Français ne démasquent pas leur tactique. À la fois amusés par l’art de la bagarre et fervents d’unité nationale, les Français ne reculent devant aucune contradiction, mais ils s’inquiètent sincèrement d’un pays s’installant dans l’instabilité.
Le nœud de l’incompréhension peut se libérer sur ce questionnement : sommes-nous tous différents ? Nous le sommes, nos avis divergent sur à peu près tout, au cœur ou à la marge, et chaque jugement est façonné par une histoire personnelle, des passions et des intérêts propres à chacun.
Gouverner la France s’apparente donc à une randonnée sur une étroite ligne de crête. Dans la quête estivale d’un Premier ministre, nous avons disserté à l’envi sur le compromis, plutôt sur le mode interrogatif : en sommes-nous capables ? L’histoire, comme l’actualité de nombreuses collectivités, disent que oui. Ce qui se rejoue aujourd’hui, dans un contexte différent, c’est la confrontation au sein des républicains de la IIIe République ; entre Clemenceau, Blanc et les radicaux, et Gambetta, Ferry et les opportunistes.
Mais revenons à la source des mots. On traduit communément l’opportunisme en trahison, y compris en raison de la chanson de Jacques Dutronc*. Le concept est plus complexe, donc plus intéressant. Pour Gambetta, il s’agissait de saisir une opportunité politique et de choisir « le moment opportun » pour légiférer, sur des alliances mouvantes.
Je ne doute pas qu’on se rassemblera sur ce constat : tous ces républicains de la IIIème, intransigeants ou conciliants, portaient une très haute idée de la République et l’ont fait vivre et progresser. Et aujourd’hui ?
*Claude Nougaro, Toulouse, 1967, « même les mémés aiment la castagne »
*Jacques Dutronc, L’opportuniste, 1968, « je retourne ma veste, toujours du bon côté »