ÉDITO
Songeons au pouvoir des mots, à ceux débités du haut des estrades comme à ceux lâchés au coin d’une rue ou au bout d’une lettre…
La violence verbale, dans la rue, sur les plateaux de télé et les réseaux sociaux, s’installe en marqueur de la société de ce premier quart de XXIe siècle. On assiste à une déferlante de bastons télévisées, de menaces, de plaintes, de hurlements et harcèlements en ligne. La vulgarité triomphe et s’impose comme le semblable de la puissance, l’alpha et l’oméga du règne des mufles. Ils frappent, ils blessent, ils tuent. Qu’importe, puisqu’ils empochent des likes à gogo, version 3.0 du bulletin de vote. Et la tendresse, bordel ! Alors que s’ouvre la traditionnelle période des vœux – en fait, des promesses faites à Dieu, et chacun, chacune, mettra qui il ou elle veut à la place de Dieu – songeons au pouvoir des mots, à ceux débités du haut des estrades comme à ceux lâchés au coin d’une rue ou au bout d’une lettre.
Jean Ferrat, dans Le cœur fragile, proclamait une vérité maltraitée : « On peut mourir tout doucement d’un petit baiser qu’on attend, d’une voix froide au téléphone, d’un mot qu’on lance à bout portant, d’une confiance qu’on reprend, d’un amour qui vous abandonne ». Les beaux mots, les doux, les tendres, les chaleureux, les féeriques, les tout simples, les mercis, les bonjours, les « Ne rentre pas trop tard, surtout ne prends pas froid » (merci Ferré), expressions non d’une faiblesse mais d’une amitié, d’un amour, parfois d’une éblouissante audace, forment une armée. La tribu des mufles, faite de faibles, vous dira que la douceur annonce la naïveté et finalement la défaite. Demandez à Martin Luther King ce qu’il croit : « La non-violence est une arme puissante et juste qui tranche sans blesser et ennoblit l’homme qui la manie. C’est une épée qui guérit ». Qui plus que lui a fait progresser l’idée d’égalité ? Peut-être Desmond Tutu, parti il y a peu, exaltant la responsabilité de l’individu : « Faites le bien par petits bouts, là où vous êtes, car ce sont ces petits bouts de bien, une fois assemblés, qui transforment le monde ».
Ces petits bouts sont aussi les mots du quotidien, sur nos cartes de vœux, nos cartes postales, nos lettres, nos mails, les post-it accrochés sur le frigidaire, ces mots qui disent la simplicité et la beauté de la vie, qui apaisent et rassérènent. Propos gnangnans ! Je vois la critique fuser et les ricanements voler. Fuseurs et voltigeurs se souviendront peut-être d’un certain Victor Hugo, grand maître nourricier de l’éternelle littérature, divulguant un jour cette extravagance : « La naïveté est le visage de la vérité ». Alors, en 2022, prenez le pouvoir, dites-le avec des mots, usez et abusez de fleurs, de bontés, d’extravagances. Soyez fous !