Le Serémangeois, Hayangeois de naissance, Roland Marcuola joue avec les mots depuis l’enfance, sur une musique de plaisirs généreux et contagieux. Il les assemble pour en faire des pièces de théâtres, saynètes, poèmes, chansons et romans dont le dernier paru, Jeannette, aux éditions L’Harmattan, boucle une trilogie bâtie autour d’un gamin de la vallée de la Fensch, Guido, et d’un bout de sa bande. Ceux qui ne protestent pas à la tentation de la comparaison – qui n’est pour autant pas raison – verront crapahuter entre les lignes Cavanna et ses Ritals, Sempé et Goscinny et leur Petit Nicolas et finalement Lavilliers qui, avant de chanter la Fensch, prenait Saint-Etienne à témoin pour exprimer l’attachement prioritaire et intime à une cité et sa ou ses communautés : « On n’est pas d’un pays, mais on est d’une ville »… d’un val, d’un quartier, d’une rue, d’un coin, d’un bas d’immeuble, d’un morceau de terre. L’ancien instituteur, quittant les estrades de l’Éducation Nationale en 1998 pour rejoindre celles du spectacle, crée en 1995, avec trois copains de maternelle, puis dirige la Compagnie théâtrale Les Uns, Les Unes. La troupe mêle comédiens professionnels et amateurs sur les planches et incorpore la petite histoire à la grande dans les textes.
Un classique du genre. On aime ficeler à un auteur son personnage principal, ad vitam, et coller à ce père créateur – c’est encore mieux – l’élan autobiographique. À tort ou à raison, peu ou prou, Arsène Lupin est Maurice Leblanc, Jean Valjean est l’âme de Victor Hugo, Titi, la religion de Renaud. Guido est-il l’enfance, l’adolescence et les 400 coups de Roland Marcuola ? Il s’amuse de la question mais se défend d’avoir produit le récit de sa vie, admet juste quelques étapes du parcours des deux qui se croisent, qu’ils habitent la même vallée, que Guido lui « ressemble un peu, est aussi nul que [lui] au foot » et que « faire de la musique, ça nous a pris au même âge ». Plus sûrement, Guido, le livre, raconte ce que les oreilles et les yeux de l’écrivain ont attrapé et emmagasiné au fil des ans : les couleurs du ciel, les coureurs de légende, Fausto Coppi cela va sans dire, les Macaronis, les Polaks, les Arabes, les mélanges, les amourettes et les amours de toujours, coups du sort et de Trafalgar, l’usine, la cité, les questions, les certitudes… Joliment écrit, d’une plume sensible et d’un style limpide et plaisant, Guido accroche les lecteurs et décroche en 2019 le prix spécial du jury du Cercle Leonardo Da Vinci, remis à Paris. Suit en 2021 Tête de nœud. Guido a grandi, il est ado, le narrateur déroule le récit d’une amitié, « à la vie à la vie », avec Mamed, également fils d’immigré, d’une autre migration, celle des Maghrébins. Le dernier ouvrage de la trilogie vient de paraître, toujours chez L’Harmattan, pouvant « se lire indépendamment des deux premiers », titré Jeannette, du nom de la petite Polonaise désormais adulte mais indéfiniment l’amour d’enfance de Guido. « Elle nous livre avec quelques années de recul sa vision des événements qui ont fait basculer son ami dans un mutisme obstiné, nous invitant à la suivre dans ses tentatives pour lui faire retrouver la parole. Un long chemin sinueux, véritable parcours initiatique, qui va les mener de leur Fensch natale aux Éparges [dans la Meuse, NDLA] dans les années 60 », précise l’éditeur en quatrième de couverture. La rage s’invite, crescendo, sur les premières gammes du roman : « Je me repassais la scène de l’agression de Mamed. L’arrivée du groupe à la kermesse de l’école de musique où nous devions donner notre tout premier spectacle, la salle de classe qu’on nous avait indiquée pour aller nous préparer, les musiciens de la clique qui s’y trouvaient déjà, leur chef qui nous avait réservé un accueil glacial et puis, très rapidement, la défiance que ce gros type rougeaud avait manifestée à l’égard de Mamed, les noms d’oiseaux… ». Onzième publication de Roland Marcuola (après deux recueils de nouvelles, deux recueils de poèmes et un roman, aux éditions Pierron, de 1996 à 2002, et trois pièces de théâtre et deux romans aux éditions L’Harmattan, de 2019 à 2023), Jeannette place le Serémangeois parmi les auteurs lorrains réguliers et à succès… et Guido en impeccable et indétrônable personnage de roman. Ce Guido, plus encore, forme une jointure dans la vie de son auteur et créateur. Avant le roman, « ce nom de Guido vient d’une chanson » puis d’une série de saynètes pour le compte de Cité en scènes, organisant des visites théâtralisées dans les communes de la vallée de Fensch, à vocations culturelle, patrimoniale et touristique. Le récit de Guido trouve sa source plus en amont, pas loin des racines, lorsque Roland Marcuola s’enflamme pour l’écriture puis les métiers d’écrivain, dramaturge, comédien, directeur de compagnie, avec les mots, toujours les mots, encore les mots, ciment d’une vie. La fierté et l’émerveillement maternels font l’une des étincelles qui allument cette saga littéraire : « Le début de cette aventure, c’est bateau, c’est l’école, forcément. Je me souviens de ma première rédaction en sixième. Il nous était demandé de décrire notre animal familier. Je raconte donc l’histoire de ma chatte et j’ai la meilleure note de la classe, 16 sur 20, sachant qu’on avait un prof très sévère dont je parle d’ailleurs dans Tête de nœud. Je revois la copie. Et je reviens à la maison avec ce 16 et je montre la copie à ma mère. Il suffit parfois d’un rien. Elle regarde, elle lit, elle lève les yeux vers moi et me demande : c’est toi qui as écrit ça ? Et c’était parti… Et à partir de là, j’ai eu envie d’écrire, j’ai commencé à écrire des chansons et des poèmes. On est alors dans les années 60, je suis bercé par la vague anglo-saxonne, par Brel, par Brassens, une richesse incroyable ». Le plaisir d’écrire le motive, et ne l’a jamais quitté. Quant à la légendaire et paraît-il maudite page blanche, elle ne l’effraie pas : « Moi, j’ai l’angoisse de la page noire, noircie, finie. Quand j’ai envoyé mon manuscrit de Jeannette, il était dans mon tiroir depuis des mois, parce qu’entre-temps étaient sorties des pièces de théâtre, et j’ai eu peur de le relire, de ne plus l’aimer ». L’éditeur a tu cette peur, en attendant les lecteurs qui la tueront probablement.
« L’universel réside parfois dans un détail »
Ses pièces de théâtre interpellent, émeuvent et amusent – il faut voir Brassens arriver chez Saint-Pierre faisant le compte des bondieuseries made in Georges – ses romans ouvrent des fenêtres sur la vie comme elle va, ses interprétations nous décrochent des rires et des souvenirs, des larmes et des peurs… Roland Marcuola, à bientôt 67 ans, visite presque tous les registres et marche le cas échéant en zigzag. À partir du récit d’un Malgré-nous, il écrit un match de foot, « Florange 1- Allemagne 0 ». Un but, une broutille ? Sauf que « l’universel réside parfois dans un détail », dit-il. Il revendique la fonction prioritairement ludique de la scène tout en portant des messages politiques et philosophiques. Ce fils de sidérurgiste, « petit-fils de Macaronis », instituteur comme ses deux frères, voulant « rendre à la République ce qu’elle lui a donné », baigne dans une vallée tissée des grandeurs et malheurs de la classe ouvrière. Une vallée colorée de nationalités multiples. Il n’aime pas les racistes – nous l’entendons dans Jeannette – ni la tactique du bouc-émissaire. Il « n’en peut plus » non plus qu’on présente cette vallée comme sinistrée. Même s’il note un « essoufflement récent » et tacle les choix hasardeux de certaines municipalités, Roland Marcuola parle de la Fensch comme d’un « bouillonnement culturel »… et la somme d’atouts touristiques. Tel Guido déambulant à ses débuts, en valorisant les patrimoines variés de la Fensch, il fait l’inventaire : le musée de la mine, l’U4 à Uckange, la Vierge à Hayange, les pelouses calcaires d’Algrange, les opportunités de randonnées… Votre prochain séjour dans la Fensch, ce n’est pas du cinéma, ni du théâtre.
Roland Marcuola dédicacera son dernier ouvrage, Jeannette, à la librairie Hisler BD bis de Thionville, le samedi 18 mars de 14h à 18h. D’autres dates et lieux sont à l’étude.