Invité ce jeudi 5 juin dans le cadre d’un déjeuner par le Club de la Presse Metz-Lorraine, Patrick Weiten, Président du Département de la Moselle, a abordé avec franchise et sans notes les grands dossiers qui structurent son action et préoccupent le territoire en 2025 : événements majeurs, industrie, démographie, logement, mobilités et contraintes budgétaires. Pendant près de deux heures d’échange, il a livré ses réflexions, ponctuées de plusieurs témoignages personnels.
Après les JO 2024 et le Michelin 2025, cap sur 2026
Après avoir salué la convivialité du cadre de l’échange l’échange et le rôle du Club de la presse, Patrick Weiten est entré dans le vif du sujet en revenant sur ce qui, à ses yeux, fait rayonner la Moselle : sa capacité à accueillir des événements d’envergure.
« Les Jeux olympiques ont eu un effet d’accélérateur formidable. Les clubs ont vu affluer de nouvelles demandes de licences, mais beaucoup ne pouvaient pas accueillir tous les sportifs », a-t-il regretté. « C’est incompréhensible que l’État baisse le budget du sport juste après un tel élan populaire. »
Sur Michelin 2025, il juge le pari gagné : « 700 chefs étoilés sont repartis de Moselle. Ce sont autant d’ambassadeurs. Ils savent maintenant où est la Moselle. » Et de souligner : « Cet événement a permis de montrer l’excellence de notre gastronomie, mais aussi l’engagement de nos équipes éducatives, comme les chefs des collèges. »
Pour 2026, l’évènement Les Terres de Jim, organisé par les Jeunes Agriculteurs de Moselle, avec le soutien du réseau national Jeunes Agriculteurs, se tiendra en septembre 2026 sur le secteur de Magny à Metz. Pour Patrick Weiten, il s’annonce comme le prochain grand rendez-vous de l’année. « Ce sera l’agriculture en vitrine, mais pas seulement : il y aura des concerts, des animations, des rencontres. C’est un moment de lien entre le monde agricole et les citoyens. »
« Il faut parler à la France industrielle »
Si la Moselle veut continuer à rayonner, elle ne peut ignorer les secousses économiques qui la traversent. Patrick Weiten l’a dit d’emblée : « Le cœur sidérurgique bat encore en Moselle, mais il est fragilisé. » Interrogé sur les récentes annonces de suppressions de postes chez ArcelorMittal à Florange, il a exprimé une émotion personnelle : « Je suis fils d’ouvrier sidérurgiste. J’ai défilé avec mon père sur les Champs-Élysées en 1976. Cette annonce, je ne l’avais pas anticipée. Elle fait mal. »
Mais il refuse la résignation. Pour lui, la Moselle demeure une terre industrielle, à condition d’en affirmer le potentiel : « Nous devons parler à la France industrielle, et pas seulement à la France métropolitaine. L’industrie, ce n’est pas du passé. C’est notre avenir si on sait l’accompagner. »
Il appelle à une politique volontariste : « Nous avons les fonciers, les infrastructures, une main-d’œuvre qualifiée, une tradition technique. Encore faut-il qu’on ne nous oublie pas dans les stratégies nationales. »
Il cite l’exemple du projet Holosolis à Sarreguemines, présenté comme un symbole de renaissance industrielle : « 2 000 emplois directs et autant d’emplois induits. Mais derrière, il faut toute une organisation pour loger, former, transporter, accompagner ces salariés. C’est ça, une politique industrielle : penser l’écosystème, pas juste les mètres carrés d’usine. »
Patrick Weiten a tenu à défendre l’idée d’une réindustrialisation territorialisée, fondée sur des relais locaux solides : « Les métropoles ne suffiront pas à tout porter. Il faut un maillage territorial. Et la Moselle est prête à jouer ce rôle. »
Mobilité et logement : « Des urgences sociales et économiques »
Pour Patrick Weiten, accueillir de nouvelles activités industrielles ne peut être une fin en soi. Encore faut-il disposer des infrastructures nécessaires pour accompagner cette dynamique. Deux priorités ressortent avec force : la mobilité et le logement. « Si les gens ne peuvent ni circuler ni se loger correctement, tout le reste s’effondre. Ce sont des urgences sociales et économiques. »
Sur la question des transports, il alerte : « L’A31 bis, cela fait 20 ans qu’on en parle. Aujourd’hui, les gens n’y croient plus. Il faut lancer l’enquête publique avant la fin de l’année. » Et décrit le quotidien des frontaliers : « Celui qui travaille au Luxembourg passe plus de temps en voiture qu’un Parisien en train. Ce n’est pas supportable. »
Le ferroviaire n’est pas en reste. « Nous avons les rails, les gares, les voyageurs. Mais pas de trains entre Forbach et Thionville. C’est absurde. » Rappelant qu’à ce sujet, une étude est en cours, attendue pour l’automne : « Si elle conclut qu’il ne faut rien faire, j’exprimerai ma colère. Ce n’est plus tenable. »
Concernant le logement, Patrick Weiten dénonce un paradoxe : « Il y a 48 500 logements vacants en Moselle, et pourtant des familles peinent à se loger. C’est un gisement considérable que nous devons mobiliser. »
Puis il défend une approche fine, au plus près des réalités de vie : « Un étudiant, un couple, une personne âgée, un travailleur en mobilité : chacun a des besoins spécifiques. Il faut adapter notre parc plutôt que construire à l’aveugle. »
Enfin, il a insisté sur la cohérence de l’ensemble : « Transport, logement, emploi : tout est lié. Ce sont des sujets de vie quotidienne, mais aussi des leviers d’attractivité. Si on veut garder et accueillir des habitants, il faut leur rendre la vie possible. »
Démographie : « Faire mentir les statistiques »
Derrière les enjeux d’infrastructures, un défi plus silencieux mais tout aussi crucial s’impose à la Moselle : celui de la démographie. Pour Patrick Weiten, l’évolution de la population conditionne la soutenabilité des politiques publiques à moyen terme. « Une collectivité, ce sont des équipements, des services, des investissements. Si la population diminue, c’est tout le modèle qui est fragilisé. »
Alors que les projections statistiques annoncent un recul démographique pour le département, le président veut croire en la capacité du territoire à inverser la tendance. « À Yutz, on m’avait dit que la population allait chuter. En vingt ans, elle a doublé. Les prévisions ne sont pas une fatalité. »
Il insiste sur l’importance d’une politique globale pour rendre la Moselle attractive : « Il faut du logement, des transports, des crèches, une vie culturelle, un tissu associatif. Ce sont ces éléments qui décident une famille à s’installer ou non. »
Patrick Weiten veut casser une image décliniste : « La Moselle a les équipements pour un million d’habitants. On ne peut pas tomber à 800 000. Ce serait un gaspillage collectif. Nous devons faire mentir les statistiques. »
Il souligne enfin le rôle des événements fédérateurs dans cette dynamique de reconquête : « Quand on accueille les JO, Michelin ou les Terres de Jim, on donne envie de Moselle. On montre qu’on est vivant, qu’il se passe quelque chose ici. C’est aussi cela, faire revenir de la population. »
Finances départementales : « L’inquiétude est réelle »
Maintenir l’attractivité de la Moselle et répondre aux besoins croissants de sa population nécessitent des moyens. Or, dans un contexte de ralentissement économique et de transferts de charges non compensés, le Département se heurte à une équation budgétaire de plus en plus complexe.
« Nous avons perdu 50 millions d’euros de DMTO, soit l’équivalent de la moitié de notre capacité d’investissement annuelle », a déploré Patrick Weiten. « Et en face, nos dépenses sociales explosent. » Il évoque des hausses constantes dans les domaines du handicap, de la protection de l’enfance et de la dépendance : « Ce sont des besoins concrets, humains, quotidiens. Je ne toucherai pas à l’humain. C’est hors de question. »
Le président du Département en profite au passage pour dénoncer une recentralisation rampante : « L’État transfère des compétences sans les moyens. Il donne les responsabilités, mais pas les ressources. »
Il critique également l’absence de levier fiscal à l’échelle départementale : « On ne peut plus adapter notre fiscalité à nos politiques. Nous subissons les recettes, sans pouvoir agir sur elles. » Et d’ajouter : « Il faut nous redonner une fiscalité dynamique, sinon les collectivités locales seront réduites à gérer la pénurie. »
Dès lors, Patrick Weiten appelle à un débat national sur les finances locales : « Il y a urgence à rouvrir la question de l’autonomie financière des départements. Sinon, nous allons droit vers une rupture de capacité d’action. »
Municipales : préoccupé par la progression locale de l’extrême droite
Au-delà des équilibres budgétaires, c’est l’équilibre démocratique qui préoccupe Patrick Weiten. Alors que les élections municipales se profilent, il alerte sur une tendance de fond qu’il observe avec inquiétude. « Ce ne sont plus des candidatures de façade. Ce sont des réseaux, des personnalités, des stratégies d’implantation », souligne-t-il. « Ils sont structurés, formés, implantés. Ils ont compris comment gagner des mairies. Et parfois, ils font illusion avec des discours de proximité. »
Selon lui, cette dynamique est renforcée par l’absence d’alternative claire : « Le désintérêt des grands partis pour les territoires ruraux leur ouvre un boulevard. Là où il n’y a plus d’offre politique visible, l’électeur se tourne vers ceux qui sont là, qui occupent le terrain. » Il évoque aussi la montée d’un vote de lassitude : « Certains ne votent plus pour un programme, mais contre un système. Et ce ressentiment est capté par l’extrême droite. »
Alors que des échéances électorales majeures s’annoncent, Patrick Weiten a appelé à une forme de réveil républicain : « Le calendrier leur est favorable. Et les grands partis sont absents du terrain. Il faut reconstruire des offres politiques locales crédibles, sinon nous verrons tomber des communes unes à unes. »
