ÉDITO
« On pose quoi au bout de la révolution numérique ? Un point final à la démocratie ou trois points de suspension ? »
Après l’affrontement électoral, nous entrons dans le cycle des debriefings, journaux et plateaux claironnant au son des si. Ah, si Madame Michu avait sifflé celle-ci, si sotte, et si Monsieur Untel avait su citer ce que savait si bien Sisyphe. Après les serments, place aux sermons et à la valse des si sinueux. Si j’avais su, j’aurais pas venu mais si c’était à refaire, croix de bois, croix de fer, j’irais voir ici si j’y suis. L’écrivain André Maurois cogitait aussi avec des si : « Si les hommes comprenaient mieux les dangers que comporte l’emploi de certains mots, les dictionnaires seraient enveloppés d’une bande rouge : Explosifs, à manier avec soin ! ». Voter Larousse, c’est admettre que ce rallye Élysée 2022 fut terrible, à la fois insupportable et formidable. Car il est possible d’entendre monter de cette campagne le présage d’un avenir plus rayonnant. Certes, le dico n’est plus à la mode et les candidats abusent de mots indéfinis – libéral, nationaliste, gauche, droite, patrie, république, démocratie, souveraineté –, s’en tenant aux émotions et obsessions que ces mots suscitent et non plus à leur sens strict et ce qu’ils permettent d’expliquer et d’éclairer. Les professions de foi, aux mots obsédés par le souci de plaire et non d’aiguillonner, trompent l’esprit de la confrontation démocratique et du débat d’idées. C’est le grand méchant flou entretenu par une fausse croyance : le désintérêt des Français pour la politique. Si cette élection a révélé une fois encore un peuple aux multiples facettes, râleur, égoïste, triste, optimiste, généreux et bavard, elle a montré un peuple résolument décidé à se mêler de ce qui le regarde. Cette campagne met en lumière deux urgences : l’établissement d’une pédagogie sur l’absurdité de toute forme de racisme et l’ouverture d’un chantier aussi vaste qu’un monde à inventer : quelles nouvelles formes de démocratie proposons-nous alors que des hordes de oui, de non, de peut-être et de va savoir, traversent en un clic un pays devenu une monarchie de doigt divin ? Comment répondons-nous à l’enjeu d’unir une nation quand triomphent conjointement la fascination pour la mondialisation et la frénésie du local ? L’hyper puissance du digital et des réseaux sociaux nous interdit de penser comme hier. Nous avons déjà trop perdu de temps à croire que ces réseaux secouaient la démocratie quand ils la faisaient voler en éclat. Une nouvelle génération de citoyens devra décider et forger le cadre que ses aînés ont échoué à échafauder. On pose quoi au bout de la révolution numérique ? Un point final à la démocratie ou trois points de suspension ? Allons enfants, c’est à vous de voir…