Sonate en cinq mouvements : l’enfance et l’adolescence à Thionville, le cinéma, la télévision et, sur un tempo plus lent, le théâtre. Le comédien Yvon Back, déjà connu pour ses rôles dans les films de Philippe de Broca, Jacques Audiard, Christian Merret-Palmair – autre Thionvillois de naissance – ou Costa-Gavras, booste sa notoriété avec son rôle de commissaire Becker dans la série à succès de France 2, Un si grand soleil. Retour sur la très belle carrière d’un gamin de Thionville, dont les parents étaient assureurs. Il se souvient d’une « enfance heureuse, dans une famille cool », de son école Saint-Pierre, de sa rue Saint-Louis.
Pas le genre à rouler des mécaniques en tartinant sa filmographie. Yvon Back ne joue pas hors des plateaux. Il est Yvon, simple, accessible, conscient de la fragilité des carrières, sur les petit et grand écrans. Il songe aussi, sans doute, à sa première entrée en scène, un effet du hasard, déballé comme un paquet surprise. Il le dit, il ne serait probablement pas acteur sans une rencontre lycéenne : celle-ci se déroule à Thionville en 1978, Yvon Back a 17 ans, une bande de potes l’embarque. « Tout commence ici », dans les salles et les arrière-cours du lycée baptisé en hommage à l’aventurière et aviatrice Hélène Boucher. « À l’école, j’étais un élève moyen et plus j’ai gravi les échelons, plus ça s’est dégradé, avant de devenir catastrophique. Ils ne savaient pas trop quoi faire de moi [dans un premier lycée technique, NDLA], alors je suis venu redoubler ici en Première D, ce qui n’était pas non plus une excellente orientation pour moi. Le cinéma commence donc ici, car en changeant de lycée, je change de relations et de potes et je découvre notamment Christian Merret-Palmair. Christian et Denis faisaient des films en Super 8, c’étaient des dingues de cinoche. Moi j’aimais le cinéma mais sans plus. Ils m’ont fait tourner dans leurs films parce qu’on faisait les cons ensemble, et j’ai adoré ça ». Il interprète d’abord un cosmonaute russe, dans un long-métrage, Du côté de Bételgeuse, « une parodie de science-fiction » projetée au théâtre municipal. Puis la lumière s’allume. « Mon image a alors totalement changé après cette projection, les filles me regardaient, je me disais : mais c’est génial ce métier ! J’étais un adolescent un peu timide et je constatais qu’être vu sur un écran générait ça. La motivation initiale, c’est ça ». Il embraye sur les motivations suivantes et plus fondamentales : le « monde merveilleux » du cinéma, les auteurs, les metteurs en scène, les acteurs, dont quelques-uns l’ont davantage marqué, voire inspiré. Il évoque Michel Aumont, « avec qui j’ai joué au théâtre et qui a été plusieurs fois mon père dans des fictions », ou Jean Yanne, qui partage sa table à la cantoche, en marge du tournage du premier film de Jacques Audiard, Regarde les hommes tomber : « Je l’abreuvais de questions ». L’affection d’Yvon Back pour Jean Yanne souligne aussi l’humour qu’aime pratiquer et consommer, sans modération, le Thionvillois : « Je suis très client de Jean Yanne, j’aime son cinéma, j’aime cet humour, sorte d’héritage de Pierre Dac, cette déconne intelligente à la française ». Yvon Back cite aussi Michel Duchaussoy, « acteur magnifique, pour lequel j’ai beaucoup d’admiration », avec lequel il tourne en 2001 Les portes de la gloire (lire par ailleurs). On le voit aussi partager l’écran avec Béatrice Dalle et Francis Huster dans On a volé Charlie Spencer (1986) ; avec Jean-Hugues Anglade, Sami Frey et Dominique Besnehard dans Les menteurs (1996) d’Elie Chouraqui ; avec José Garcia, Karine Viard et Yolande Moreau dans Le couperet (2005) de Costa-Gavras ; avec Charlotte Rampling, Jean Rochefort et, autre Lorraine, Isabelle Nanty dans Désaccord parfait (2006) d’Antoine de Caunes. Au total, Yvon Back aligne une trentaine de films pour le cinéma, de 1986 à 2019, une quarantaine de téléfilms ou séries télés depuis 1996, des Cordier, juge et flic à Un si grand soleil, et de rares interprétations au théâtre. Il dit aujourd’hui « avoir à nouveau envie de théâtre ». La série télévisée de France 2, Un si grand soleil, cartonne en audiences et fait la course en tête : « 6,8 millions de Français regardent au moins un épisode par semaine. 3,6 millions regardent chaque jour, soit 16,3 % de part d’audience depuis septembre 2022. Série quotidienne la plus regardée en France en 2022 sur les 4 ans et + », selon Médiamétrie. La série trace un tournant dans la carrière d’Yvon Back, gagnant en notoriété et en popularité, en France et ailleurs (série diffusée dans 150 pays dans le monde). Dans la rue, on lui donne parfois du « Monsieur le commissaire », un rôle qu’il joue et, plus largement, façonne au fil des saisons : « Le feuilleton est un genre particulier. Cela fait plus de quatre ans que je joue ce personnage. Les auteurs attendent l’incarnation, ils écrivent pour faire aller le personnage dans un sens ou dans un autre. Je l’ai aussi amené dans une direction que j’aime bien en lui donnant cette espèce d’ironie ou de déconnade qu’il a par moments. Il n’est pas forcément là où on l’attend. Visiblement, cela a plu aux auteurs. Il y a une perméabilité entre ce que les auteurs écrivent et ce que tu leur proposes, ils se nourrissent de tout ça ». Y compris de la personnalité d’un comédien arrivé en 2019, pour la 2e saison, sur un coup d’audace : À la directrice de casting, Yvon Back fait savoir qu’il « n’est pas contre » l’idée de jouer dans ce feuilleton : « Je ne sais plus si c’était par mail mais très rapidement j’ai eu un rendez-vous pour faire le commissaire Becker ». Il vit ainsi entre Paris, Montpellier, Vendargues, juste à côté, où s’étale l’immense pôle de production audiovisuelle de France TV où la série est tournée, et les souvenirs émouvants de Thionville.
Des Portes de France à celle de la gloire
« On ne devrait jamais quitter Montauban« , s’amusait le dialoguiste Michel Audiard (le père de Jacques, pour lequel Yvon Back a tourné) dans une réplique offerte à Lino Ventura dans Les Tontons flingueurs. Sauf en mode déconne, qu’il affectionne, Yvon Back n’en dirait pas autant de Thionville, d’autant que ses parents ne vivent plus là mais dans le sud. Il porte toutefois une sincère affection pour sa ville natale, souvent nommée « Portes de France » : « J’ai vécu une vraie émotion en descendant du train, la dernière fois que je suis venu [en octobre 2022, pour tourner l’émission Sur ma route, pour Moselle TV, NDLA]. Je ne me revendique pas Lorrain mais il y a de la nostalgie quand je pense à ma ville, j’ai plein de souvenirs ici ». À Thionville, il y revient de plusieurs manières. En fait, souvent. Par le train et par une connexion régulière avec « la diaspora thionvilloise de Paris. Je les vois beaucoup. Là, on se revoit plus parce qu’on vieillit. On est du 20e siècle ! Et le 21e est déjà bien entamé ». L’un de ses retours mémorables remonte à juin 2001. Il vient présenter à Thionville le film Les portes de la gloire, avec le réalisateur Christian Merret-Palmair, son pote de lycée, surtout connu pour ses réalisations Canal + (plus de 400 sketches) et la série Hôtel de la plage pour France 2. Etienne Chicot est aussi de la virée thionvilloise de 2001. Il incarne l’un des commis voyageurs, aux côtés de Benoît Poelvoorde, Julien Boisselier, Michel Duchaussoy, Jean-Luc Bideau et bien sûr Yvon Back. Une croustillante distribution, remarquée par Le Monde – ce n’est pas rien ! – offrant une belle critique au film et, qui sait, entre les lignes, un salut au génie thionvillois.