Nouvel album de la flutiste d’origine japonaise Yuriko Kimura, Théia est l’occasion de s’immerger dans un chassé croisé entre cultures européennes et japonaises, entre jazz, musique de chambre et improvisation. Et de se pencher sur un parcours qui abolit les distances.
Venue y parfaire sa formation musicale classique au pays des compositeurs de la période moderne qu’elle affectionnait – Fauré, Dutilleux… – Yuriko Kimura vit en France depuis 2001.
Contre toute attente, elle est restée. Pour une raison assez singulière : c’est à travers le jazz qu’elle a trouvé matière à son épanouissement.
Née à Hisanomara, village de pécheurs non loin de Fukushima et balayé par le tsunami de 2011, rien ne prédestinait Yuriko Kimura, fille d’un grossiste en poissons, à devenir musicienne. « Ma mère pratiquait le piano en amatrice et m’a initiée dès l’âge de 2-3 ans. Mais j’avais les mains trop petites pour envisager de pratiquer de manière sérieuse. J’avais 10 ans quand elle m’a acheté une flûte traversière. Un objet étrange pour moi qui n’avais connu que la flûte traditionnelle japonaise en bambou avec laquelle je jouais lors du Bon odori, la fête de l’été. »
La suite est plus naturelle. Des leçons avec une professeur à proximité jusqu’aux études purement classiques et un diplôme à l’université de musique Kunitachi de Tokyo – le Conservatoire n’existe pas au Japon. La jeune femme s’attache à travailler tous les répertoires avant de poursuivre sa formation à Paris.
Là, ne pouvant intégrer le Conservatoire de Paris à 22 ans, elle se tourne vers le CRR de Saint-Maur. « L’idée était de repartir au Japon au bout de 3 ans. Mais la joie d’avoir accès à tout et un environnement stimulant, concours à la clé (2ème prix du concours Européen de Musique en 2002 notamment), auront raison des contraintes. »
À 25 ans, tout est bousculé. En cours, le vibraphoniste Philippe Macé l’initie au jazz. Au même moment elle découvre le scat d’Ella Fitzgerald chez une copine. Un choc pour celle qui a évolué avec les préjugés des “classiques” envers le jazz, et qui a grandi dans un pays où il « était considéré au mieux comme exotique sinon ringard ».

« J’ai été fascinée. En classique, on interprète, alors que dans le jazz c’est la vie qui s’exprime à travers l’instrument. » Elle se dévoue donc au jazz et à la musique d’improvisation. Nouveau diplôme en 2010, participation à de nombreux projets. Elle rencontre au passage Matthieu Roffé, pianiste messin qui poursuit aussi ses études à Paris et dont le jeu la séduit. Il sera de l’aventure du premier quartet, puis du duo lors d’une première tournée au Japon en 2013. Partenaire musical privilégié qui avoue qu’elle a eu sur lui une influence déterminante sur la manière de composer, son affinité pour la culture du pays du Soleil Levant (notamment les samouraïs et le Musashi) nourrit une combinaison croisée qui dépasse la musique. Il deviendra naturellement son partenaire dans la vie, installation à Metz il y a 2 ans à la clé.
Entretemps, le duo sort un premier album en 2016, Onde-crépuscule où les deux instruments esquissent une musique de chambre intimiste, délicate, où l’ancrage classique est encore très présent.
Au cours d’une résidence, le duo accueille Kevin Lucchetti, batteur, et devient trio. Théia à peine sorti, départ pour le Japon, la huitième tournée. Yuriko contribue à y faire une place au jazz. Un nouvel aller-retour.
Théia
Il faut du temps à toute chose. Titre et pochette renvoient à l’idée première de culture. À l’image de Yuriko Kimura qui puise enfin dans sa propre authenticité culturelle les germes de son identité musicale. Liés aux percussions taiko, les éléments de rythme ont défini un mode de jeu spécifique entre le batteur et le piano de Matthieu Roffé, loin de la rythmique traditionnelle du jazz.

Bien plus qu’avec l’album précédent, Théia respire le jazz et l’improvisation, creusant la matière parfois sertie de be bop, swing ou blues (Omaké) tout en développant les croisements culturels avec le Japon. De la voix, apport inédit, qui harangue comme lors d’une fête traditionnelle japonaise, aux clochettes et claves introduisant certaines compositions, évoquant l’une la prière bouddhiste, l’autre le kabuki. Une nouvelle invitation au voyage, plus interpellante qu’enveloppante cette fois. (Chez Musea)