Son Spatz, un moineau en terre cuite émaillée, emblématique de la Moselle et de la Lorraine, voyage désormais sur tous les continents. Selon une photo récemment reçue par son créateur, Denis Hilt, le Spatz paradait dans le métro de New York. Un clin d’œil réveillant le souvenir des allées et venues planétaires des nains de jardin du Fabuleux destin d’Amélie Poulain. En observant le parcours de cette colonie de Spatz, dont chaque membre est une œuvre d’art unique, on pense d’abord aux Shadoks, popularisés par la voix de Claude Piéplu dans les années soixante-dix. Au-delà de l’élevage de ces géniales bestioles, Denis Hilt annonce en haut de sa bio : sculpteur et graphiste. On ajoutera caricaturiste, tant ses oiseaux écrivent la comédie humaine. Balade dans son atelier de Montigny-lès-Metz.
Sculpture, céramique, graphisme, photographie, conception de supports de communication (films, affiches, logos, sites internet), « tout ce que je fais a un lien avec le plaisir et je suis toujours dans la création ». Le sourire élégant, la voix modeste, le temps offert à l’explication de ses passions et des techniques qui leur donnent corps, l’air muséal de son bureau-atelier, tout s’accorde et témoigne d’un plaisir vrai. Pas question de bulle, son espace vital joue collectif, toute la maison dégage une atmosphère créatrice. La présence de sa compagne, deux étages plus bas, contribue au parfum général. Argentine de naissance, sculptrice diplômée des Beaux arts de Buenos Aires, Natalia Cinalli (cinalli.com) anime également « des ateliers de création artistique pour enfants et de sculpture pour adultes ». Les enfants de Denis et Natalia ne sont pas à la ramasse, « les deux dessinent comme des bêtes », précise joyeusement Denis. Lui-même tient de la génération antérieure : « C’est mon père, ouvrier et à moitié agriculteur, qui m’a fait aimer les oiseaux. Il était un très grand protecteur de la nature, il greffait les arbres, connaissait tous leurs feuillages, tous les noms des oiseaux. Il m’a fait vraiment aimer la nature, plus que tout, cette nature qui m’inspire tout le temps ». Le voyage forge aussi le caractère de cet artiste. L’un des pèlerinages conduit un jour Denis Hilt en Toscane, à Carrare, qui est au prestigieux marbre blanc ce que New York est aux buildings et Paris à la romance et aux terrasses de café (désolé pour les clichés un peu fanés). Outre qu’il y rencontre Natalia, il entre dans le Sanctum sanctorum, un temple de la matière noble où Léonard de Vinci et Michel-Ange venaient y faire leur marché. En sculpture, sur marbre ou pas, Denis Hilt ne s’interdit aucun style : de la classique et indétrônable femme nue, seins pommes et bras courts, à des bustes en tous genres, poissons, aigles, renards, petits monstres et même une sacrée paire de valseuses en marbre, devenue trophée. La commande émanait de Yan Lindingre, alors rédacteur en chef de Fluide Glacial et créateur du Prix couilles au cul récompensant le courage d’un caricaturiste. « Quand je raconte que c’est ma femme qui les a patinées, ça fait toujours marrer. Je me souviens que mon fils était petit à l’époque et il me demandait : Qu’est-ce tu fais, papa ? Ben tu vois bien que je sculpte un os de dinosaure ! ».
L’humour s’invite avec bonheur dans l’univers du sculpteur dont les Spatz, plus que des oiseaux, forment une bande d’humains pastichés. On s’y attache. On aperçoit Verlaine et de Gaulle, haut-de-forme pour l’un, képi pour l’autre sur le crâne. Dans son press-book, des centaines d’autres défilent, répondant à des commandes, comme celle-ci, d’un association normande fêtant son 25e anniversaire : « Ils m’ont envoyé une liste, complétée par des photos et précisant les professions des uns et des autres et il fallait que je fasse chacun de leur Spatz. Je me suis donc inspiré de leur faciès, de leurs passions et métiers. J’ai fait des Spatz rigolos et j’imagine le côté folklorique de la rencontre quand chacun a ouvert sa boîte et montré son Spatz. J’ai reçu aussi des commandes pour des élus, un preneur de son de RTL, un Meilleur ouvrier de France, un dessinateur de BD. En traduction illustrée de ces personnages, je suis resté cantonné sur une époque, j’aime bien le début du XXe siècle où on avait une certaine élégance. Actuellement, je travaille sur un projet de jeu d’échec, ville contre campagne, avec des Spatz à béret et d’autres à chapeau haut ». Côté prix, Denis Hilt reste dans la mesure, entre 30 et 50 euros pièce : « Ça reste raisonnable, je pense que je suis sur un bon rapport qualité-prix vu le travail que cela représente ». C’est peu de le dire. Plusieurs étapes sont nécessaires pour obtenir un produit final : sculpture initiale de la terre, première cuisson à 980° pour chasser les molécules d’eau, donnant alors une céramique, pose de l’émail, nouvelle cuisson nommée « raku, un vieux procédé japonais signifiant la joie du hasard. Cette deuxième cuisson a pour but de faire fondre l’émail sur la pièce, puis on ouvre le four à 980° sans attendre que la pièce refroidisse, ce qui crée un choc thermique et l’effet craquelé de l’émail. Et là, on est comme des gosses qui déballent un cadeau ». Deux ultimes phases mobilisent l’artiste, une mise en étuve, « pour que les fissures absorbent le carbone et deviennent visibles », puis un travail de finition avec une brosse métallique. « Au final, c’est plus solide que l’acier. D’ailleurs, sur les sites archéologiques, on trouve plus facilement des céramiques que des aciers qui s’oxydent ».
Contact/renseignement : pour les Spatz, lespatzlorrain.com, hiltdenis@gmail.com
Pour les activités de communication : arteplus.fr / info@arteplus.fr / 06 63 12 91 16
« J’aime la modestie des Lorrains »
Commercial, ouvrier métallo en Allemagne, voyageur, Denis Hilt a bourlingué avant de poser son activité de graphiste. Il travaille pour des sociétés et institutions variées, Tramosa, Saint-Gobain Pont-à-Mousson (dessins vectoriels pour plaques d’égout), les commerçants de Montigny, le festival de contes et légendes du Pays de Nied, la commune de Bouzonville… Le sculpteur ne chôme pas plus. Parmi ses œuvres, le Spatz s’invite en haut du podium, au point de devenir un emblème – avec la mirabelle, bien sûr ! – de la Région. Il reste toutefois moins connu que la cigogne alsacienne ou le santon provençal. Une affaire de temps, probablement. Denis Hilt ne veut pas bousculer les choses et à ceux qui affirment que la Lorraine n’est pas assez fière de ses savoir-faire, qu’elle manque parfois de gnaque, il répond : « C’est dommage car nous faisons d’excellents produits. À l’inverse, les Alsaciens sont tellement chauvins, presque arrogants, que ça en devient contreproductif. Je me souviens d’une anecdote que m’avait rapporté le journaliste Jacques Gandebeuf, originaire d’Auvergne. Il avait un jour demandé son chemin à un gamin du pays de Bitche, c’était avant que le GPS existe, et ce gamin s’était excusé pour son accent, ça l’avait touché. Cela n’arriverait pas en Alsace. Moi j’aime bien cette modestie des Lorrains ».