Originaire de Saint-Privat-la-Montagne, le physicien et ingénieur Alain Louis vit en Chine depuis six ans et caracole en haut de la pyramide du N°1 des constructeurs automobiles chinois. Directeur de l’ingénierie, son supérieur direct n’est autre que le bras droit du PDG de BYD, dont les chiffres-clés impressionnent : 600 000 salariés, trois millions de voitures vendues l’an dernier et un chiffre d’affaires en hausse de 42%. Il applaudit aussi à l’initiative réunissant sous la bannière MOSL International les ambassadeurs d’un département auquel il reste follement fidèle.
Il ouvre le chapitre de ses premiers pas à l’école communale, « déjà passionné de sciences », dans la petite ville de Sainte-Marie-aux-Chênes, 4 500 habitants, où sa maman était institutrice. Il cite en sentimental, et en se marrant, La guerre des boutons et les chicanes entre villages voisins. Cinquante ans plus tard, changement d’univers et de dimension, il s’installe à Shenzhen, siège de BYD, 15 millions d’habitants. Il débarque d’Amnéville, sa « ville de cœur », après avoir été repéré par un chasseur de têtes de Pékin : « Tout est immense en Chine. Le quartier de Shenzhen où se trouve la société compte un million d’habitants, on appelle ça un village ! ». Au-delà des mesures chiffrées, Alain Louis tente un tableau comparatif des cultures chinoise et française, entre ponts et murs, entre hier et aujourd’hui. « La Chine est une société assez sociale. Notre PDG vient d’une famille très pauvre, il était orphelin, il a pu étudier et a largement remercié ceux qui l’avaient aidé. Mais il est resté modeste, ça se voit, il mange régulièrement à la cantine avec les ouvriers. Ça peut paraître étonnant mais en fait les Chinois sont assez proches des Français culturellement. Ils ont beaucoup appris de la France. Ici, ils savent parfaitement qui est Victor Hugo, dont ils récitent des vers, notamment quand l’écrivain se moque de « Napoléon-le-petit ». Et bien sûr le général de Gaulle, qu’ils connaissent tous, parce que de Gaulle a reconnu très tôt la République populaire de Chine mais aussi parce qu’il incarnait en France un État puissant ».
Le rôle de l’État dans l’élaboration des grands programmes scientifiques et/ou industriels, comme le nucléaire jadis en France, forme toujours en Chine un marqueur fort. Pas forcément comme on l’imagine avec nos yeux franco-français. Alain Louis : « En Chine, l’État et les scientifiques travaillent main dans la main. Les plans remontent vers l’État, conseillé non pas par des lobbys mais par des universitaires et des scientifiques qui jugent de l’intérêt des projets, sélectionnés ensuite par l’État qui les finance. En 2019, j’ai remporté un prix important assorti d’un financement, sur la base d’un projet dont on voit les fruits aujourd’hui, et le jury de ce concours était constitué de grands professeurs. Les Chinois ont un vrai respect pour la connaissance et on travaille sur du gagnant-gagnant, avec un État qui porte une stratégie. C’est un peu ce qu’on voyait du temps de de Gaulle, avec le nucléaire ou le Concorde ».
Que les Chinois aient une bonne vue, il aime aussi, et souligne leur capacité de visionnaires, particulièrement chez BYD : « Nous concevons et fabriquons des véhicules électriques et hybrides rechargeables, à peu près à 50/50, mais notre système hybride n’est pas celui de l’Europe, il n’y a pas de boîte de vitesses. Et l’intérêt se trouve dans l’économie de la boîte de vitesses qui contrebalance grosso-modo le prix de la batterie. On a donc, pour le prix d’une essence, une hybride rechargeable. Ce qui positionne BYD en leader, avec une situation bien établie. On contrôle toute la chaîne de développement, de la base au véhicule final et de surcroît la société est bien gérée, notamment grâce à une stratégie pensée depuis fort longtemps. Pendant que les autres continuaient sur des technologies plus anciennes, on ne gagnait pas beaucoup de parts de marché mais on développait des compétences et quand ça a pris son envol, on s’est retrouvés en position de force ». On lit dans le propos d’Alain Louis une fierté de la conquête. Premier effet. Il faut creuser plus loin pour capter le deuxième effet.
Le Mosellan double la mise, scientifique et philosophe. Il juge « calamiteux les réseaux sociaux » : « Des sondages indiquent que les jeunes font moins l’amour aujourd’hui et qu’ils préfèrent être sur leur portable, c’est fou ! ». Il s’interroge sur cette société mondiale et bouleversée : « Oui, j’ai des doutes. Si Dieu existe, il nous a mis une carotte et elle est dure à attraper. Je suis à la fois dans le passé et dans le futur. Quand je travaille sur l’algorithmie qui va augmenter nos besoins énergétiques, il m’arrive de culpabiliser, et en réfléchissant sur l’Intelligence artificielle, je repense à mes cours de philo, vous voyez, « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », et je me pose la question : Et si Hitler avait eu ces outils entre les mains, où en serions-nous ? Cela dit, je ne crois pas aux théories invitant à freiner la recherche. Il faut s’interroger plutôt sur les mains et les têtes qui utiliseront ces outils. Finalement, on en revient toujours à la politique ». Et à la Moselle, qui certainement et souvent l’inspire. Il reste connecté, amoureusement, à ce pays natal. De diverses manières. En ambassadeur de MOSL International : « J’y suis depuis peu mais c’est clair, ce sont des réseaux qu’il faut développer, comme la French Tech ». En passionné d’histoire de France, de Lorraine, de Moselle, avec en mémoire un grand-père responsable du Souvenir français et un professeur de Sainte-Marie-aux-Chênes, « Monsieur Vian, mon idole ». En nostalgique, en conduisant une vieille chignole à boîte de vitesses, ou en participant au financement de la statue du Docteur Kiffer, maire d’Amnéville de 1965 à 2011, dont il est fan de l’incroyable audace. En fan aussi du FC Metz : « Je regarde tous les matchs, ça me détend ». Sans doute pas tout le temps.