ÉDITO
« Le bac reste un précieux moment de communion familiale. Mieux, d’union nationale. »
Des calories dans le pâté, des euros dans le parcmètre, des milliards dans le déficit, pourcentages, décigrammes, centigrades, kilomètres, nous comptons sans compter. Sans cesse, les additions trustent nos jugements et cultivent une nation de comptables. A l’heure où les terrasses s’allongent et saluent l’arrivée d’une léthargie bienvenue, n’ajoutons pas une discorde à notre arc gaulois, laissons le soleil roucouler. Inutile d’inaugurer une nouvelle ligne de fracture franco-française, entre les apôtres des lettres et les champions des chiffres ; confrontation d’ailleurs absurde, les deux étant alliés, les chiffres éveillent à la poésie et les lettres se comptent avant de nous la raconter.
De la même manière que les dossiers de la presse magazine sur les prix de l’immobilier ou les courses de la rentrée, la frénésie des chiffres du bac réapparaît chaque année à date fixe. Quel taux de réussite ? La voilà, la question ! Le phare sur l’océan des futilités ! Chez ces gens-là, souvenez-vous, on compte : 88% d’une classe d’âge embachotés. Parfait, Laurent Fabius, Premier ministre en 1985 et créateur de l’objectif à 80 %, peut dormir sur ses deux sonotones. On peut disserter sur une question plus joviale : le bac a-t-il encore de la valeur ? Mais avant tout, ne devrait-on pas se réjouir ? Tout simplement, paisiblement, voluptueusement. J’eus mon bac en juin 1987 à l’issue d’une piètre année où j’accumulais les heures de manif étudiante plus promptement que les notes au-dessus de la moyenne. Du jour de gloire où mon nom apparut dans la colonne des reçus, ma mémoire conserve le sourire, la surprise et le bonheur de mon père. Secrètement, il n’y croyait plus, tandis que ma mère mêlait la pratique de la méthode Coué à l’achat compulsif de cierges.
On aura beau aligner des ministres en pagaille, tous équipés de leur réforme du bac, mille fois renverser la table, commanditer des études, manigancer des commissions ad hoc, imaginer la rénovation de l’institution, sa restauration, sa transformation, sa refondation ou tout autre truc en tion, le bac est le bac : un monument historique, une exceptionnelle fabrique de souvenirs. Sésame indispensable pour les uns, devenu pour les autres le thermomètre inquiétant du niveau de culture générale, peu importe, le bac reste un précieux moment de communion familiale. Mieux, d’union nationale. Au menu d’un été insouciant, l’ambiance du bac est en hors-d’œuvre. La France souffre par procuration, retient son souffle, entre en libération, fête les lauréats et cajole les recalés. Et vogue la galère. Vive le bac.