Au jeu de la marguerite qu’on effeuille, Roberto Ghin moissonne sur les sommets, quelque part autour du « beaucoup, passionnément, à la folie ». Originaire de Fameck, d’abord prof et présentement proviseur d’un lycée parisien « d’excellence », il aime son métier, défend un service public de qualité et, dans un même élan fervent, rappelle les bons offices d’une « société en mosaïque ». À la question récurrente « l’ascenseur social est-il en panne ? », il répond : peut-être bien que non.
Les râleurs éternels l’imaginent débarquant d’une autre planète. Roberto Ghin gravit tout bonnement la vie par la face lumineuse. Il est solaire. Non qu’il méconnaît et mésestime les ombres et lueurs sombres d’un système, notamment scolaire. D’où lui viennent cet enthousiasme et ce besoin d’ouverture, une des caractéristiques de l’établissement qu’il dirige dans le quartier de Montparnasse ? Probablement de sa Moselle natale. « Je suis né à Fameck… ma mère n’ayant pas eu le temps d’arriver à la clinique, à Thionville. Je suis un pur Fameckois. Issu du milieu ouvrier, mes parents sont des émigrés italiens. Mon père travaillait dans la sidérurgie et ma mère était femme au foyer. Nous étions six enfants et je suis l’avant-dernier. À Fameck, petite ville ouvrière où se mêlent des nationalités diverses, c’était une ambiance très joviale, on vivait en totale harmonie dans une société en mosaïque. Personne ne prêtait attention ni aux religions, ni aux ethnies. Dans la cité, nous étions tous pareils, tous amis, nous fréquentions les mêmes écoles, les mêmes centres sociaux, les mêmes clubs de sport. Il n’y avait aucun problème tel qu’on peut en connaître aujourd’hui dans certaines cités françaises. Mon esprit d’ouverture remonte à mon enfance. Quand j’étais gamin, j’entendais les parents de mes camarades parler en portugais, en espagnol, en arabe, en kabyle, j’étais fasciné. Aujourd’hui proviseur d’un lycée à envergure internationale, je peux mettre à profit cette richesse et ce bagage culturel acquis dans ma cité d’origine ».
La culture du livre, tôt insufflée dans la famille de Roberto, fleurit aussi ses désirs de transmission et façonne sa passion de l’enseignement : « J’ai appris beaucoup dans les livres et un petit peu avec la télévision. J’aimais bien les jeux d’esprit, l’émission Des chiffres et les lettres par exemple, à tel point qu’on m’appelait parfois dans ma classe Maître Capelovici [Le grammairien Jacques Capelovici, dit Maître Capelo, a notamment coanimé Les Jeux de 20 heures, sur FR3, à partir de 1976, NDLA] ». Une passion, peut-être même une obsession. Dès l’école, son rêve ressemble à un prof. « Depuis ma tendre enfance, je voulais être professeur, sans savoir précisément dans quelle discipline. D’ailleurs, je jouais au maître avec mes copains et copines, et c’était souvent moi le maître. J’aimais l’école, j’y étais toujours, du lundi au samedi, et pour nous tous, l’école représentait un véritable lieu de vie et d’épanouissement. On faisait de la poterie, du macramé… tant que l’école était ouverte, j’y allais et nous étions nombreux dans ce cas ». Bon élève, assidu plus que de raison, Roberto Ghin navigue pourtant à mille lieues de l’icône du fayot enfermé dans sa jeune tour d’ivoire. Il cultive aussi l’esprit de bande, écrit et réécrit le roman des mobylettes et des boums dans les caves, consubstantielles au monde des HLM : « On partait souvent en bande, à la piscine de Serémange ou se balader dans les bois. Ou on allait à la ville, c’est à dire à cette époque Hayange ou Thionville. J’étais un jeune qui vivait complètement avec son temps, j’étais souvent dehors, avec mes copains et copines, ainsi que dans les caves. Ah, ça, les caves, c’est quelque chose qui a marqué toute une génération, car c’était la mode des boums. Et comme on ne pouvait pas faire ça chez nous et qu’on n’avait pas de garage, on avait investi des caves non utilisées et ça devenait des petites discothèques ». C’est à la grande ville, Metz, qu’il part ensuite pour poursuivre ses études. Il décroche un diplôme en Relations internationales à l’université, avant d’aller marcher dans les pas de ses aïeux et de s’inscrire à l’Instituo Europeo de Florence. Le voilà donc prof, polyglotte, enseignant l’économie, la gestion et le marketing. Il repasse par la Lorraine, nommé à Longlaville puis à Fameck : « Ce fut un grand bonheur quand j’ai obtenu ma mutation à Fameck, je retrouvais l’univers dans lequel j’avais grandi, j’avais affaire aux petits frères et petites sœurs de mes copains et copines de classe. À Longlaville aussi, j’ai été un prof heureux et épanoui ». Fidèle à l’Éducation nationale, il bifurque toutefois et passe le concours des personnels de direction. Une inspectrice, à l’occasion de sa titularisation, écrit : « J’émets un avis très favorable. Son excellente maîtrise des fonctionnements de l’établissement témoigne d’une intelligence des situations et d’une capacité remarquable ». Roberto Ghin débarque à Paris en 2011, proviseur du lycée Pierre-Lescot, puis à partir de 2018, proviseur du lycée hôtelier Guillaume-Tirel. Il a 49 ans. Régulièrement salué comme un « lycée d’excellence », squattant les hauts de podium (premier lycée hôtelier de France en 2021, selon un classement du magazine L’étudiant), son établissement attire ministres et délégations étrangères, particulièrement pour ses nombreuses actions à l’international, sa diversité de publics « d’apprenants » – 900 environ, dont plus de 500 élèves et étudiants et 300 adultes en formation continue – « son fort engagement pour le développement durable ; nous sommes en la matière un lycée modèle », ses partenariats à l’étranger ou en France, avec Roland Garros ou le Salon du Bourget. « Une vitrine de la gastronomie française et – il insiste – du service public ».
La leçon paternelle
Chevalier puis officier des Palmes académiques, en 2011 et 2017, ces distinctions honorent un parcours impeccable et… pas forcément très académique. Roberto Ghin aime nager sur les marges et bousculer les idées plan-plan. La jeunesse est-elle désœuvrée ? Il objecte et réfute la pensée facile : « C’est un défaut universel, on pointe toujours ce qui ne va pas et les endroits où ça ne marche pas. Or, majoritairement, les jeunes ont envie de s’en sortir, envie d’apprendre, je l’ai toujours constaté, à fortiori aujourd’hui où je suis dans un univers de formations d’excellence, dans l’hôtellerie-restauration, un des fleurons de l’économie française. C’est sûr que les temps ont changé et que les demandes ne sont pas les mêmes, parce que la société n’est plus la même qu’il y a trente ans, mais dans leur immense majorité les jeunes ont envie d’avoir un diplôme parce que c’est valorisant et que, sans cela, c’est plus difficile de s’insérer ». Sa vision d’un prof heureux en dit long sur sa philosophie de la vie et sa conception de l’enseignement : « Un prof heureux est un prof qui a envie de transmettre son savoir et le plaisir de donner à ses élèves les clés pour réussir dans leur vie personnelle. Ce qui le rend heureux, c’est de voir ses élèves réussir et, surtout, de les voir le dépasser. Mais un prof ne se contente pas de communiquer un savoir, il propage aussi des valeurs, dont l’amour du travail bien fait ». Une recette du bonheur, semblable à la leçon reçue de son papa, « marin vénitien migrant vers les terres mosellanes » : « Travaille bien à l’école. L’école, c’est l’avenir ».