« Qu’il nous excuse de mettre à mal sa modestie », écrivent l’ancienne Secrétaire générale de la CFDT, Nicole Notat, et l’ancien Secrétaire national Jean-François Trogrlic, dans leur préface du livre consacré au Mosellan Roger Briesch et publié chez Indola éditions. Un livre-entretien avec Alain Gatti qui retrace le « parcours exceptionnel » de ce gamin de Talange, écolier-cancre, plombier-zingueur à 14 ans, leader syndical puis président du Conseil économique et social européen, tutoyant les légendes Lula, Walesa ou Delors. Roger Briesch, 92 ans au compteur à ce jour, citoyen d’Hagondange, bel et bien modeste, juge probablement l’hommage excessif. Probablement a-t-il tort. Il se rassurera en faisant le constat d’un livre aux visées larges : une biographie doublée d’une histoire de la Lorraine et des syndicalismes français et européen. Et d’un guide pratique à l’usage de ceux qui veulent, malgré tout, changer le monde.
Idéalisme et pragmatisme. Roger Briesch n’oppose pas les deux. Une phrase le résume, elle est une réponse à la question sur son choix de la CFDT : « Ou on prend en compte les problèmes et les réalités tels qu’ils sont, pour apporter des réponses, ou on rêve au grand soir. Mais le grand soir, ça se prépare ». Son combat syndical se fonde sur l’utilité d’exploiter au mieux ce temps d’avant le printemps, de ne laisser aucune prise au hasard. Il est en cela Jauressien : « Le courage, disait Jean Jaurès dans son discours à la jeunesse en 1903, c’est d’être tout ensemble et quel que soit le métier, un praticien et un philosophe (…) Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ».
Très tôt, Roger Briesch se frotte au réel d’une région ouvrière, belle et rebelle. Il naît en 1932 rue de l’usine, à Talange, dans le quartier baptisé « le Tripoli » pour sa variété de nationalités. Français, Polonais et Italiens s’y mêlaient. « C’était une rue à 90% italienne, il y avait quelques pourcents de Polonais et de Lorrains. Moi qui étais fils unique, je baignais au milieu de familles avec quatre enfants au minimum, huit à dix au maximum ». Lui aussi teinté d’ailleurs, Français de « père luxembourgo-allemand », il se retrouve minoritaire, « mais globalement, il y avait une bonne ambiance dans le quartier, malgré quelques castagnes ».
Pas vraiment cador à l’école, il raconte qu’il ne « comprenait rien. La grammaire, c’était pour moi de l’hébreu, ou du chinois, j’étais perdu ». Il traverse la guerre, de 1939 à 1945, en enfance et en insouciance : « Les Allemands avaient mobilisé tout le monde [la Moselle est annexée à l’Allemagne à partir de 1940, NDLA] et les institutrices avaient des horaires décalés. Et puis à partir de 1943, il y a eu le passage des forteresses volantes, ces avions américains qui allaient bombarder l’Allemagne. Il y avait donc des alertes, et s’il y en avait après 22 heures, cela signifiait qu’il n’y avait pas d’école le lendemain. Tous les soirs, je guettais les alertes ». L’immédiat après-guerre le projette dans la vie d’adulte et de militant. Dans le livre-entretien avec Alain Gatti, Roger Briesch détaille cet enchaînement rapide, propre à une époque : « Je termine ma scolarité en 1946, pas illettré mais complètement ignare dans certains domaines suite à ce parcours très perturbé. Le 16 juillet 1946, deux jours après la fin des classes, j’entrais comme apprenti dans une petite entreprise artisanale de plomberie-zinguerie. Dix heures par jour, six jours par semaine, ce n’était pas Zola mais j’ai quand même trouvé la vie dure »(1).
La fin des années 40 et les années 50 se poursuivent sur un même rythme, les expériences et les événements se suivent à vive allure : la vie en atelier, puis en usine, à la SAFE, Société des aciers fins de l’est, filiale de Renault, son engagement à la JOC – Jeunesse ouvrière chrétienne – l’armée, le rappel en Algérie, son mariage avec Anne-Marie, ses mandats syndicaux à la CFTC – Confédération française des travailleurs chrétiens – et quelques premières rencontres déterminantes, dont celles avec Walter Païni et Eugène Descamps, deux grandes figures du syndicalisme. Le premier avait repéré « le meneur » Roger Briesch et l’avait embarqué à la JOC à Hagondange, en 1946. « Ma motivation n’était pas l’engagement chrétien ». Roger Briesch rejoint la JOC parce que… Walter Païni, auquel il confie devoir beaucoup. La JOC, parce qu’elle le met en cohérence avec sa vision de la société, son état d’esprit, son humanité, retrouvée dans plusieurs témoignages recueillis pour le livre. Sur ce point, il y a unanimité. « C’est invariablement l’esprit militant qui anime en lui le dirigeant stratège, le négociateur avisé, l’interlocuteur loyal, le défenseur intransigeant des droits humains et des libertés syndicales », disent Nicole Notat et Jean-François Trogrlic. « Il est une formule qui le résume parfaitement et qu’ont pu mesurer au quotidien tous ceux qui l’ont côtoyé, elle tient dans la dernière phrase de son témoignage : » J’aime les gens « », écrit Alain Gatti.
Le second, Eugène Descamps, marque également, profondément, le parcours du Mosellan. Artisan, en 1964, de la transformation de la CFTC en CFDT – Confédération française démocratique du travail – Eugène Descamps fait ses classes à l’usine UCPMI de Hagondange. Il sera secrétaire général de la CFTC puis de la CFDT et figure au panthéon du syndicalisme français. La transformation de la CFTC en CFDT, Roger Briesch la vit de l’intérieur, en direct. La même année, il succède à Walter Païni à la tête du puissant Syndicat de la métallurgie, fort de 15 000 adhérents. C’est avec sa casquette de Secrétaire général qu’il « fait son 68 en 67 », un mois de grève et, au bout, un accord-cadre toujours en vigueur. À la CFDT, le Mosellan prend du galon, Secrétaire national de la fédération générale de la métallurgie en 1971, puis chargé des relations internationales au sein du secrétariat confédéral, en jargon moins syndical le cœur du réacteur. Évoquer le duo Roger Briesch / CFDT, c’est souligner d’autres amitiés puissantes – dont celle avec Jacques Chérèque, « mon frère » –, c’est dessiner un lien presque de sang, c’est introduire la beauté du combat quand il est fidèle.
(1) Roger Briesch. Syndicaliste à l’échelle du monde, entretien avec Alain Gatti, Indola Éditions (2024)
Pour voir ou revoir l’émission Sur ma route sur Moselle TV consacrée à Roger Briesch le samedi 10 février 2024 :