Jamais, dans un échange d’une heure, elle ne prononce le mot féminisme. Le parcours professionnel de Bettina Pech, aujourd’hui conductrice d’engins chez Eurogranulats, basé à Hauconcourt, signe pourtant une belle exemplarité dans la matricule de l’égalité hommes-femmes. Ce petit bout de femme, cinquante kilos à vue de nez, la trentaine pas tout à fait ralliée, tatouée comme un motard, aurait voulu être une artiste. Elle l’est. Des gamins et des hommes, à la pelle, rêvent de son bureau : la cabine lumineuse et ergonomique d’un monstre des chantiers des travaux publics, un tombereau de cinquante-cinq tonnes (quand il est chargé) aux mensurations grandioses, 10m30 de long, 3m30 de haut, les pneus bibendumiques, le genre de bahut finissant les films d’action, quand le gentil, sportif et musclé, monte dans l’engin et réduit en bouillie la voiture du méchant, une longue limousine noire et pompeuse. Cette femme de fidélités, Gardoise d’origine et découvrant petit à petit la Moselle par ses lieux d’histoire et de mémoire, se nourrit de contraires. Sa cohésion de femme actuelle ne s’en porte pas moins à merveille.
Aussi sec, les amis déboulent dans la conversation quand elle aborde ses passions. Ils forment un point cardinal, sûrement le nord qu’elle ne veut pas perdre bien qu’étant native du sud expatriée dans l’est : « Mes amis ont marqué mon parcours et comptent beaucoup dans ma vie. J’ai notamment quatre amies, Irina, Alexia, Sophie et Sophie [elle se soucie de n’avoir oublié personne, NDLA]. Avec deux d’entre elles, Irina et Alexia, nous avions un ami commun que nous avons perdu, cela a créé un lien très fort et durable entre nous, malgré notre éloignement géographique. On s’envoie souvent des photos, elles du sud, elles sont d’Aix et Marseille, et moi de l’est, de cette Moselle qui m’a adoptée. On s’envoie de la musique, des extraits de concerts ou des photos d’expos auxquels on assiste ». Le vin et la tchatche irriguent aussi la relation amicale : « on parle des heures et des heures et dès que j’ai des congés, je redescends dans le sud », dans le Gard notamment, où l’on repère une autre pierre angulaire de sa vie : sa famille, sa compagne Camille, son frère Alexandre, sa maman Renée, jadis dans le commerce, « une femme très active avant de tomber malade », et son papa Philippe, un paternel lui filant très jeune le goût du camionnage haut de gamme : « Mon papa conduisait des camions quand j’étais enfant, il a fait trente-cinq ans de route, il m’a transmis la passion des véhicules. Quand j’étais petite, je me souviens que je volais le tombereau en jouet de mon frère, il en avait plein mais c’était celui-là que je voulais. Quand vous vous retrouvez à vingt-neuf ans à conduire l’engin que vous aviez en jouet à l’âge de cinq ans, vous réalisez que vous avez atteint un rêve de gosse, renforcé par le souvenir d’avoir accompagné mon père dans son camion et ça, c’était génial ». À l’école élémentaire, sur la petite fiche de renseignements, elle n’indique pas (encore) qu’elle veut devenir pilote d’un machin hors du commun, elle imagine une vie plus artistique : « À la base, j’adorais l’art, je voulais être artiste. J’adore la peinture et la sculpture ». Elle n’a pas perdu de vue cette autre étoile et s’agence présentement un atelier chez elle, à Boulay-Moselle. Elle dessine, y compris les tatouages qui habillent son corps. Après le bac pro à Uzès, spécialité Arts de la pierre, elle « valdingue » de métier en métier, « comme tout jeune qui cherche son indépendance ». Serveuse, barmaid, en France, en Suisse, Bettina Pech travaille ensuite dans la pierre, y compris le marbre. Blessée à la main, elle envisage alors une reconversion professionnelle et frappe à la porte de la Médecine du travail, puis celle de Pôle Emploi, qui « valident son projet de conducteur d’engins ». Petit jouet deviendra grand. Elle entame un CAP en alternance avec une première activité chez Eurogranulats (lire par ailleurs), dont le siège historique est à Hauconcourt, commune du nord messin plus connue pour être le point de rencontre, pile-poil, des deux grandes autoroutes de l’Est, A4 et A31. S’ouvre un nouvel épisode de sa vie, en Moselle, avec pour hors-d’œuvre de l’aventure « un petit détail tout drôle », une micro-révolution gastronomique : « L’alimentation, c’est totalement différent de chez moi. Les concombres à la crème, je n’étais vraiment pas habituée. Moi, j’ai été nourrie à l’huile d’olive, aux poissons, aux tomates, au basilic ». Puis vient l’exploration du patrimoine historique de la Lorraine, qui la séduit et la bouleverse : « Quand je suis arrivée, en juillet 2021, j’ai découvert très vite l’énorme histoire de cette région, très marquée par son passé. Avec ma compagne, je suis allée visiter le cimetière américain de Saint-Avold et plusieurs forts, nous sommes allées à l’ossuaire de Douaumont, à Verdun, à Pompidou-Metz et à la cathédrale Saint-Etienne. J’ai découvert aussi la personnalité des Mosellans, froids au premier abord mais en fait très très chaleureux. Dans le sud, on est considérés comme des gens sanguins et conviviaux. Ici en Moselle, les gens paraissent distants, mais en vrai c’est des amours ! ». Ses collègues lui offrent régulièrement un bouquet de preuves, chez Eurogranulats, son troisième point cardinal : « Dans cette entreprise, j’ai vraiment reçu un accueil génial. Au cours de l’entretien, je leur ai dit « si je ne peux pas avoir tous les biscoteaux, il y a la tête », car on peut avoir une capacité dans ce métier même en étant une nana. Ils m’ont tous laissé ma chance, mes collègues et bien sûr en tout premier lieu Mathieu Gitzhofer, le directeur général d’Eurogranulats, et Stéphane Kieffer, chef d’exploitation. Ils ont constaté que je n’arrivais pas sur un coup de tête mais qu’il y avait de la passion et de la motivation ». Quant au quatrième point cardinal de Madame, on va le résumer ainsi : Freddie Mercury, the best, et quelques-uns de ses confrères et sœurs, musiciens et bêtes de scène, sur lesquels elle aime déverser des tombereaux d’éloges.