Ça fait quoi d’entrer dans l’histoire ? Olivier Krumbholz, entraîneur et sélectionneur de l’équipe de France féminine de handball, né à Longeville-lès-Metz, ne trahit pas son style, il la joue modeste. Il l’est, il ne joue pas. Pas le genre fanfaron, ni mordu des paillettes, certains le comparent à l’entraîneur de l’équipe de France de foot, le discret Aimé Jacquet. La popularité d’Olivier Krumbholz doit à un palmarès décoiffant, un franc-parler – parfois dans la rubrique colérique – et une éthique du coaching. En Moselle, c’est aussi l’homme fidèle qu’on aime, le gars du pays, cultivant une passion pour Metz et sa région.
« Je suis un pur Lorrain, un pur Messin de l’agglomération messine. Ma famille a traversé le XXe siècle comme on peut l’imaginer dans l’est de la France, avec des histoires assez incroyables. On porte tous ce patrimoine et si je suis très intéressé par l’histoire, c’est parce qu’elle éclaire le présent et nous avertit sur l’avenir. Je suis aussi de très près l’actualité, notamment internationale, qui me passionne. Je pense d’ailleurs que pour être un bon entraîneur, il faut être ouvert sur le monde et sur les autres et j’ai par moments essayé d’aider les joueuses à s’ouvrir sur ce monde, à sortir un petit peu de leur bulle, parce que ça les enrichit ». Avancer sans œillères, un credo sur lequel Olivier Krumbholz ne varie pas.
Quatre ans plus tôt (1), il soulignait déjà sa méfiance des rapports étriqués et figés : « Je garde confiance dans l’humain, je dis toujours : le seul plaisir sur terre, c’est les autres. C’est pour ça que je fais du sport collectif. Ce qui me passionne le plus, c’est la relation avec l’autre. Ce sont les autres qui nous font avancer ». Olivier Krumbholz, machine à gagner, certes. Mais l’image du conquérant ne domine pas, pas toujours, il veille scrupuleusement aux rapports humains au sein de la petite société que constitue une équipe sportive, rapports possiblement tendus quand les sélections s’opèrent, qu’il s’agit de choisir, garder, écarter : « C’est surtout compliqué en équipe nationale parce que c’est ce qu’il y a de plus prestigieux et c’est là où la concurrence s’exerce avec la plus grande force ». On lui a reproché une forme d’autoritarisme, qui lui aurait valu la perte du poste de sélectionneur en 2013 : « Le courant ne passait plus avec les cadres de l’équipe, qui ne supportaient plus ses méthodes autoritaires. La blessure fut profonde et Olivier Krumbholz a mis longtemps à cicatriser », assure Jérôme Porier (2). Ce sont les joueuses qui militent alors pour son retour, acté en 2016. Olivier Krumbholz : « Je suis revenu en courant. Plusieurs joueuses m’avaient demandé si j’accepterais de revenir les entraîner et du tac au tac, j’avais répondu : je traverserais tous les océans à la nage pour revenir vous entraîner. Ça les a convaincues que j’avais envie, que j’avais encore la patate. Un entraîneur doit être lui-même. À partir du moment où il se théâtralise, il perd toute authenticité et ne peut pas, par exemple, développer de charisme. Il faut rester soi-même tout en apprenant à évoluer. Je le dis souvent : on ne change jamais mais on évolue. Moi, je suis un colérique terrible mais j’ai appris à me discipliner, sans me travestir. Il y a des choses qu’on peut dire avec colère, mais toujours avec respect. Le respect, c’est la notion essentielle ».
En visitant son parcours (lire par ailleurs), où le sport et le hand s’imposent dès l’enfance, on reçoit dix sur dix la puissance des vibrations et des émotions de sa vie, celle d’un joueur, puis entraîneur de hand désormais auréolé : « L’entraîneur lorrain laissera une trace indélébile dans l’histoire du sport français », écrit Jérôme Poirier. On comprend d’autant mieux à l’énoncé de son éthique du coaching. Olivier Krumbholz : « Si on ne regarde pas les choses de manière un peu philosophique, on ne peut pas tenir dans ce genre de métier, la pression est trop forte et les événements difficiles seraient insupportables à vivre. C’est pour cela que je ne considère pas qu’un grand sportif gagne tout le temps ; ceux qui gagnent tout le temps sont ceux qui dominent de manière outrageuse au travers de qualités physiques exceptionnelles. Ils dominent souvent grâce à un potentiel supérieur, plus que par rapport à un savoir-faire. Nous, on considère qu’on joue avec les meilleures, dans un rapport d’égal à égal en termes de moyens ».
Un état d’esprit cicatrisant plus vite la blessure d’une finale perdue à Lille contre la Norvège aux JO de Paris ? « Je ne dirais pas que cette défaite a été blessante parce que rien ne nous est dû et rien ne nous est acquis. On a perdu contre notre plus bel adversaire, qui a été nettement plus performant que nous sur ce match. On fera bien sûr une analyse de l’échec mais il faut aussi rester raisonnable, beaucoup auraient aimé avoir cette médaille d’argent, et moi je la prends de bon cœur ». D’autant qu’il rentre des JO le cœur ému, bercé par une « ovation extraordinaire quand on est montés sur la deuxième marche du podium. C’est d’ailleurs ça, la plus belle évolution du hand féminin [depuis qu’il pratique à l’ASPTT Metz en 1986, ndla], c’est le respect qu’on a obtenu de la part des Français au fil des années. Ces JO, d’une manière générale, c’était une fête extraordinaire. Il y aura beaucoup à débriefer sur la vie dans le Village olympique, parce qu’il y avait des choses extra mais d’autres qui n’ont pas suivi [il cite plusieurs défaillances d’ordre technique ou d’organisation, ndla], après, ce ne sont que des détails, on finira par s’en foutre, on retiendra surtout l’émotion et le partage avec le public. Ce qui était extraordinaire, c’est le remplissage et l’ambiance dans les salles. Le peuple français a gagné ses Jeux olympiques ».
À 66 ans et une ribambelle de titres au compteur, a-t-il, lui, gagné sa retraite ? Bien avant la finale olympique, le 10 août dernier, la question courait dans les rédactions et agitait le microcosme. Fin août, Olivier Krumbholz commentait sobrement : « J’ai rendez-vous à la fédération prochainement. Pour l’instant, je visionne le match, je m’attaque au débriefing de la finale. J’en suis à 20 minutes de jeu et on mène toujours de deux buts, ce qui va venir va faire mal ».
(1) Portrait écrit sur la base de deux interviews d’Olivier Krumbholz, l’une en août 2024, après les JO de Paris, l’autre en juillet 2020.
Le goût du hand très jeune
Avec les multiples victoires internationales d’Olivier Krumbholz à la tête des Bleues (championnes d’Europe 2018, championnes du monde 2003, 2017 et 2023, championnes olympiques en 2021…) et son parcours hors-norme d’entraîneur « le plus titré de l’histoire », on ne note même plus les sous-titres, les vice-podiums, les succès en Coupe de France, lorsque Olivier Krumbholz entraînait le club de Metz, ni ses sélections en tant que joueur en équipe de France dans les années 80, en « solide arrière-gauche » (2). Époque lointaine et fondatrice. La force forgeant ce palmarès, il l’a en partie puisée à Metz. Né à Longeville-lès-Metz en 1958, d’un père mosellan, d’une mère marnaise, il est écolier à Montigny-lès-Metz, « J’avais intérêt à me tenir à carreau parce que mon père étant professeur d’éducation physique dans cette école, il savait dans la journée toutes les bêtises que je faisais », puis collège Barbot, à Metz. « Je suis ensuite parti à Bar-le-Duc, en 1974, quand je suis rentré en seconde. C’était l’époque de la création des sections sport-études et la Lorraine avait choisi non pas Metz mais Bar-le-Duc. Les deux tiers des étudiants étaient des Messins, exilés à Bar-le-Duc. Je suis ensuite venu étudier à Nancy ». Sport et hand, il en rêve très tôt, « déjà à l’école primaire, je commençais à jouer. Quand j’étais au collège, je pensais plus au handball qu’aux cours. Je n’étais pas un élève très sérieux, ni brillant, j’aimais bien m’asseoir près des fenêtres pour regarder dans la cour les matchs de foot des copains ». Le sport, chez les Krumbholz, c’est d’abord messin, mosellan… et familial. Olivier Krumholz, avant d’entraîner, joue au SMEC (Stade messin étudiants club) avec ses frères, on parle alors du « trio Krumbholz », faisant écho à un autre trio de la même région (du côté de Ban-Saint-Martin), celui des frères Zvunka, célèbres footballeurs. L’un d’eux, Georges est le père de Corinne Zvunka épouse Krumbholz, elle aussi figure du hand et capitaine de l’équipe de France dans les années 90.
(2) Le Monde, 11 août 2024