ÉDITO
« Ce trop-plein de verbe haut participe de nos jours à un climat toxique. Il nous conduit à la République des biceps et des braillements »
L’on m’objectera que les Français sont ainsi, ils parlent beaucoup, cela tient de notre culture et fabrique le charme de notre petit monde latin. Très bien. Il n’empêche qu’il est des jours où l’on rêve d’appuyer sur la touche pause, de pénétrer le silence et d’entendre à nouveau l’herbe pousser. Oui mais voilà, du silence, on se lasse et s’ennuie vite. La vérité loge probablement autour de ces mots de Molière : « La parfaite raison fuit toute extrémité. Et veut que l’on soit sage avec sobriété » (Le Misanthrope). Dans les crises que nous traversons – de foi, de foie, de nerfs ou de civilisation – l’une d’elles fait rarement l’objet d’analyses : la crise du langage, résultat d’une surabondance de mots lâchés comme des coups. L’injure, certainement et de tous temps, inonde nos échanges. « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre », vous connaissez l’oraison et vous souvenez, sourire en coin, de l’épais chapitre de notre histoire sur les outrages aux bons mots et bonnes manières. Retenons pour l’illustration Napoléon évoquant Talleyrand : « Vous êtes de la merde dans un bas de soie ». Le public n’est pas en reste et quelques-uns conservent en mémoire le tonitruant et affligeant « Salope » lancé par quelques éleveurs à la ministre de l’Écologie Dominique Voynet. Mais n’est-ce pas plus grave, en tout cas plus problématique, lorsqu’un représentant d’une autorité quelconque – enseignant, magistrat, élu, parent – commet l’injure ? Oui. Car elle pose dans ce cas la question de l’exemplarité. Il ne s’agit pas d’exiger des mandataires sages comme des oies blanches – l’être parfait est parfaitement ennuyeux – mais de prétendre simplement au respect. Si en termes d’injures publiques, rien de neuf ne brille sous le soleil, on peut noter tout de même la nouvelle étape franchie par notre époque où l’injure se pratique, non plus seulement pour blesser, faire rire ou produire une originalité sémantique, mais pour se faire entendre et tenter d’exister dans la cacophonie générale. Et qu’on ne vienne pas me chanter que les femmes nous montrent la voie de l’apaisement ! À prendre du recul pour observer les contextes dans lesquels ces insultes fusent, on distingue assez nettement, chez leurs auteurs et autrices, le goût de la meute et paradoxalement la faiblesse de l’autorité. Ce trop-plein de verbe haut participe de nos jours à un climat toxique. Il nous conduit à la République des biceps et des braillements, sur des confusions dangereuses, du respect et de la révérence, de l’autorité et de l’autoritarisme.