BILLET
On gagne une élection comme un match, magistralement ou laborieusement à l’issue de tirs aux buts, et le vainqueur explose de joie, toujours. Le Nouveau Front populaire, sans majorité, arrivant simplement en tête et déjouant les pronostics, a donc fêté la victoire, tout comme les macronistes, sauvant plus de meubles que prévu. Grand maître de ce dimanche soir électoral, Machiavel, plus pragmatique que machiavélique et martelant un indispensable du bréviaire démocratique : « En politique, le choix est rarement entre le bien et le mal mais entre le pire et le moindre mal ». Les citoyens de gauche et de droite attachés à la République ont créé un front efficace et salué à raison la non-victoire du RN. Danger provisoirement écarté : celui d’une extrême droite qui, au fond, n’a pas changé, avec de nombreux candidats lâchant dans les campagnes les vieux démons, toujours vifs et zélés, de l’antisémitisme et du racisme, et explosant par endroits le vernis si patiemment peinturluré par la fille de son père.
La victoire de Marine Le Pen
Une lecture approfondie, notamment en nombre de voix, calme les ardeurs. L’extrême-droite demeure puissante et progresse. Au premier tour des législatives de 2022, elle totalisait 4,3 millions de voix, elle en empoche 10,7 au premier tour de 2024. L’as de la communication Gabriel Attal a beau trinquer au succès, le constat de sa non-défaite s’appuyait dimanche soir sur un comparatif bancal, entre le nombre de sièges réels pour le parti présidentiel et ce que les sondages prédisaient. Les indécrottables psychanalystes du surlendemain annoncent déjà ce Premier ministre comme un recours pour la présidentielle. Bon chef de meute, celui-ci a fait montre d’énergie mais a laissé apparaître une faible capacité à rassembler au-delà de son camp. Très peu évoqué dans le courant des dernières heures, le cas d’un autre génie de la com, Jordan Bardella, mérite l’attention avant d’être possiblement jeté aux oubliettes. Il porte en partie la responsabilité du revers de son parti, qui visait une majorité absolue : un trop jeune homme, inconstant voire médiocre quand le débat se précise et se concrétise. Les experts du dimanche, piliers des talk-shows, dont certains pariaient sur lui contre Marine Le Pen à la prochaine présidentielle, se sont vautrés dans la précipitation et probablement Marine Le Pen savoure. Elle est la principale victorieuse de ce 7 juillet, elle sait que sa stratégie du vernis, malgré ses imperfections, a permis à son parti de passer de 8 députés en 2017, à 89 en 2022 puis 142 en 2024, tandis que le parti présidentiel passait de 351 députés en 2017 à 245 en 2022 puis 150 en 2024. Marine Le Pen se débarrasse d’un Bardella à la popularité devenue encombrante puis vacillante, réaffirme sa dominance sur le RN et demeure l’une des favorites de la prochaine présidentielle.
L’immense bazar à venir
L’autre échec se nomme Macron. Malgré des résultats incontestables, notamment sur l’emploi, et une présence respectable sur la scène internationale, le président de la République donne aujourd’hui l’image d’un diviseur, joueur et jouisseur (à voir : l’hallucinante image, la semaine dernière, d’un président décontracté, en jeans, cuir et casquette, presque ricanant, tandis que la France s’interroge, s’inquiète et s’invective). Il a perdu au fil des ans son autorité et sa crédibilité, par excès de fanfaronnades. Celui qui se disait « socialiste » en 2014, puis « pas socialiste » en 2016, puis « et de droite et de gauche mais pas centriste » en 2017, a échoué par mépris des citoyens auxquels il sert des discours mièvres ou provocateurs. Emmanuel Macron connaît mal ce pays, plus politisé et rusé qu’il ne le pense. Résultat des courses : les blocs anciens se relèvent, certes lentement et dans le contexte d’une extrême-droite prenant du poil de la bête et d’un centre-droit, baptisé Ensemble, résistant à l’effacement. LR et PS se relèveront durablement s’ils règlent leurs relations avec le reste de leur microcosme – particulièrement LR et ses brebis égarées au RN, et le PS et ses alliés appelant à « tout conflictualiser » – et s’ils savent par ailleurs se redéfinir idéologiquement. Aujourd’hui, cinq blocs rivalisent – gauche radicale, gauche socialiste, centre-droit, droite, extrême-droite – et en leur sein, deux stratégies s’affrontent. Cette dichotomie présage l’immense bazar des prochains mois : entre ceux qui militent pour des alliances et des majorités de projets et ceux qui restent fidèles à l’idée du tout ou rien. Illustration dimanche soir en direct : Jean-Luc Mélenchon, n’ignorant rien des vieilles ficelles du pouvoir, arrive le premier sur la ligne des micros, réclame le poste de Premier ministre pour le Nouveau Front populaire et donne le la. Quelques minutes plus tard, ses alliés socialistes, écologistes et communistes rament et réclament du temps, à l’instar de Raphaël Glucksmann, adepte du dialogue et d’une nouvelle ère de la pratique parlementaire, plus proche du parlement européen que du chaudron parisien où les postures font un malheur.
La France des centres-villes et des ailleurs
On lit aussi dans les résultats de dimanche la confirmation d’un éloignement de deux France, non plus celles des villes et des campagnes, mais celles des cœurs de grandes villes et des ailleurs, campagnes et villes moyennes. Le RN a pris le relais dans les bastions historiques de la gauche et de la droite populaire de type RPR, toutes deux aujourd’hui « boboïsées » et davantage déconnectées des réalités et des priorités des Français. 37% d’entre eux ont utilisé le bulletin RN (au 2nd tour), principalement par dépit, par amertume ou par ignorance, plus marginalement par réflexe xénophobe. Le fait que Paris ne compte aucun élu RN ne doit rien au hasard. Constat presque identique en Lorraine où le RN n’obtient aucun élu dans les deux métropoles (Metz 2 macronistes et 1 LR / Nancy 2 socialistes), ni à Thionville (1 macroniste) et Epinal (1 LR), mais rafle 10 des 21 circonscriptions : 2 RN sur 2 dans la Meuse, 2 sur 4 dans les Vosges, 2 sur 6 en Meurthe-et-Moselle et 4 sur 9 en Moselle, dont les secteurs de Fameck, Florange, Hayange, Saint-Avold, Forbach, Freyming-Merlebach, Bitche, Sarreguemines… synonymes d’une France jadis industrielle, ouvrière et fière. Plus que jamais, la centralisation parisienne régit ce pays, y compris avec des médias – pas seulement ceux d’extrême-droite dirigés par Vincent Bolloré – imposant des débats sociétaux bruyants, clivants et superficiels, en tout cas pas ceux, fondamentaux, que l’époque nous impose. Étrange époque où l’expertise d’un quidam croisé sur le macadam vaut celle d’un scientifique trimballant des années de recherche, et où les politiques apeurés semblent redouter les vrais enjeux et commèrent sur le sexe des mots. Il ne faut pas désespérer Pyrrhus…