Pourtant composé de 54 États aux histoires et richesses différentes, le continent africain reste souvent perçu comme un seul et même ensemble. On dit parfois en France « les Africains », sans distinguer les nations, oubliant qu’il n’existe pas davantage de traits communs entre Algériens et Camerounais qu’entre Français et Portugais. Révéler les extraordinaires pluralité et variété de l’Afrique constitue l’un des objectifs de la PAAM – Plateforme des associations africaines de Moselle – fondée et présidée par Kevin Ngandou. Ce Français d’origine congolaise, père de quatre enfants et technicien en télécommunications, est arrivé de Brazzaville en 2004. En tête de gondole des activités de la Plateforme qu’il dirige : la CAM, Coupe des Africains de Moselle, réunissant près de vingt pays. La fédération d’associations cumule les initiatives et projets, dans le conseil, la formation, la culture, la gastronomie ou le sport, sous l’impulsion d’un président hyperactif et refusant net l’idée de communautarisme : « Notre but est de donner une image positive de la diversité et d’être des ambassadeurs de la Moselle ».
L’histoire se déroule en 2018, Kevin Ngandou court les bureaux des élus en quête d’appuis pour l’organisation d’un événement sportif d’ampleur. Arrive le rendez-vous chez Jean-Luc Bohl, alors président de la Métropole. Kevin Ngandou dévoile son espoir de créer une CAM (lire par ailleurs). Le président lui répond en substance que sa collectivité ne dispose pas des stades mais propose de mettre à disposition de la jeune association… l’Opéra-Théâtre. « Donc, on sort du rendez-vous pour organiser la Coupe d’Afrique de la Moselle et on se retrouve avec l’Opéra-Théâtre. On ne savait pas quoi faire de cet opéra, moi-même je n’y étais jamais entré, mais je lui dis oui, je prends et je convoque tous les présidents d’associations [23 associations de Moselle représentant 23 nations africaines constituent la PAAM, leurs présidents se réunissent dans un collectif fédéral et la PAAM n’intervient pas dans la gestion de ces associations, NDLR]. On réfléchit et, là, nous avons l’idée de créer la Nuit africaine de la Moselle. C’est cette Nuit qui a fait émerger la PAAM ». La première se déploie le 21 avril 2018. Dans le décor prodigieux « d’un des plus beaux hôtels de spectacles de France », presque tricentenaire, sont à l’affiche « spectacles de théâtre, de comédie, d’humour et de danses traditionnelles et concerts de musiques variées ». Le succès s’invite d’emblée : « 950 festivaliers et 16 artistes, musiciens et comédiens. Ces artistes africains ont du talent mais arrivant à Metz, ils ne trouvent pas toujours le public. On les aide donc à sortir de l’ombre et en même temps on valorise les cultures africaines et on rappelle les influences de l’Afrique en Europe, en France et en Moselle. Pour cette première édition, tout le monde a vraiment joué le jeu. On valorise aussi la Moselle ; je me souviens encore de cette dame venue me voir après un spectacle et me disant : « Je vous remercie, je suis née à Vantoux et jamais je n’étais entrée dans l’Opéra-Théâtre » ». Côté culture, la PAAM initie aussi « Le grand village africain de Moselle », plus centré sur la gastronomie et l’artisanat d’art – le premier s’est ouvert en juillet 2018 à la BAM de Metz-Borny – et le festival Karibu Africa, plus éclectique avec des spectacles, expos, défilés de mode, un village associatif, des animations ludiques ou rencontres littéraires. Mais ce n’est pas tout. Le plan d’actions de cette fédération originale intègre les sujets historiques et mémoriels – avec toujours le souci de « réunir et non diviser » – et les problématiques du quotidien des Mosellans originaires d’un des pays d’Afrique : « Nous soutenons des gens dans leurs démarches à la préfecture. Nous avons par exemple accompagné un jeune homme du Gabon, ingénieur et détenant un CDI et qui avait des soucis de papiers. On a également un partenariat avec l’AFPA – Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes – pour aider ceux qui nous le demandent à être correctement aiguillés, et des conseillers de l’AFPA viendront ici dans nos locaux à Pontiffroy, une fois par mois à partir du 1er septembre pour rencontrer les demandeurs d’emploi ». La Plateforme, à l’origine du forum Entreprendre au féminin, dans le cadre de la Journée internationale des droits des femmes, organise également des aides à la confection de CV et ouvrira prochainement « Les impressions solidaires », par un accès facilité à un photocopieur. La PAAM marche sur deux jambes, pratique et artistique (le foot est un art, nous sommes d’accord !) Politique ? Assurément, si l’on prend soin de prendre le mot avec son sens originel. Kevin Ngandou veut donner du sens à toutes ses actions. Communautariste, comme quelques-uns le lui ont reproché ? Pour qui chaque solution présente un problème, ça peut s’entendre. L’état d’esprit de Kevin Ngandou exprime l’inverse : chaque problème comporte une solution. Et quand le sujet revient sur le tapis, il sort son iphone et visionne le discours du maire et président de l’Eurométropole de Metz, François Grosdidier, à l’occasion de la dernière finale de la CAM : « Il n’y a rien de communautariste à se rassembler et à revendiquer son identité et sa culture d’origine. C’est une richesse pour la ville de Metz et pour la nation française. L’intégration, c’est l’acceptation des us et coutumes, des lois et des valeurs d’un pays mais ce n’est en aucun cas le reniement de sa propre culture ».
De la bonne CAM
C’est l’un des coups de maître de Kevin Ngandou et de la PAAM : la CAM, comme Coupe d’Afrique de Moselle, s’inspirant plus de la CAN (Coupe d’Afrique des nations) que d’initiatives ici ou là en France organisant des tournois de foot entre quartiers. La CAM véhicule une autre ambition : développer un événement festif, populaire et possiblement utile aux jeunes joueurs. Les deux compétitions (15 pays représentés en 2021, 18 en 2022) ont vu aussi arriver sur les bords du stade des chercheurs de talents et plusieurs participants ont signé dans la foulée des contrats (en Suisse et au Luxembourg). Un authentique succès que la PAAM réitère en 2023 (limité à 20 pays). Cette compétition représente l’un des points d’orgue majeurs de la Plateforme des associations africaines de Moselle, faisant de son créateur un homme « très heureux ici », motivé par la concrétisation d’autres idées (il en a des centaines en poche) et, pour l’heure, mobilisé pour assurer la réussite du prochain rendez-vous : la 3ème Grande Nuit Africaine, à l’Opéra-Théâtre de Metz (l’entrée est gratuite mais les invitations sont à retirer préalablement chez Momo au Bar El Theatris).