Claveciniste et directrice artistique de l’ensemble baroque Le Concert Lorrain, Anne-Catherine Bucher s’est toujours attachée à rendre accessible l’instrument et son répertoire au plus grand nombre. Le goût de la transmission est l’une des clés de son parcours atypique.
Tout ça est une suite de hasards. La vraie question, ce n’est pas pourquoi on a commencé mais pourquoi on a continué. Et cela a beaucoup à voir avec la ville de Metz. »
De rencontres en découverte de répertoires inédits, sans oublier l’élémentaire félicité que lui procure sa relation au clavecin, l’esprit de reconnaissance anime Anne-Catherine Bucher.
Rien ne la prédestinait pourtant à devenir musicienne. Née à Thionville, ses parents sont néanmoins des mélomanes, investis dans un chœur local. Tout est d’ailleurs parti de là, d’un Choral de Bach qu’ils ont interprété. « Je suis tombée en fascination, à 11 ans. J’ai voulu le jouer. J’en étais bien sûr incapable. Comme je passais mon temps chez ma grand-mère à Uckange, la prof de piano locale a eu pitié de moi et j’ai commencé à prendre des cours de piano. »
Elle prend ensuite des cours d’orgue avec Raphaële Garreau de Labarre à l’église Saint-Maximin de Thionville. Laquelle lui fait découvrir le clavecin. Ses parents ayant déménagé à Metz, elle entre au Conservatoire. « J’étais beaucoup trop vieille, j’avais 13 ans et demi. On m’a accepté parce que la classe de clavecin dirigée par Michèle Dévérité était toute nouvelle. »
Ses prédispositions passionnées aidant, elle brûle les étapes. Contre l’avis de tous, elle décide de s’inscrire au bac Musique au lycée Fabert et décide, à 15 ans, de faire de la pratique du clavecin son métier. Une décision d’adolescente qui effraie son entourage. « J’avais bien compris que cela allait être compliqué. Il faut être acharné pour faire ce métier, je ne pousse pas mes élèves à faire ce choix. Je travaille tout le temps, on n’a pas de loisir tranquille. Il y avait aussi sûrement une relation à la transcendance. »
Rappelons qu’au milieu des années 80, le renouveau baroque vit un âge d’or. Avec un foisonnement de concerts à Metz et dans la région. « Ce qui s’est passé alors m’a soutenue dans mes choix. J’ai des souvenirs très forts d’Atys de Lully par William Christie, des concerts de Jordi Savall…Je voulais faire partie de ce milieu merveilleux même si tout le monde me disait que je n’y arriverai jamais. »
L’avenir leur donne tort. Anne-Catherine Bucher devient une soliste reconnue bien au-delà de nos frontières, collaborant et enregistrant avec des orchestres de prestige.
En 2000, elle crée Le Concert Lorrain sous l’impulsion de Michèle Paradon, la directrice artistique de l’Arsenal. « Elle m’a offert un soutien extraordinaire, je lui dois beaucoup. Il ne faut pas mésestimer l’influence énorme qu’elle a exercé sur la musique baroque. Ce partenariat avec la Cité Musicale est une vitrine extraordinaire. Sans compter la chance de profiter du merveilleux son de l’Arsenal, que je mesure pour avoir joué dans les plus belles salles. »
Les astres se sont alors alignés, soutien de la Région et du Département. Premiers enregistrements primés et unanimement salués en sus. Sans compter l’arrivée du violoncelliste allemand Stephan Schultz pour partager la direction artistique de l’ensemble, pour une complémentarité assez rare en France. Aujourd’hui Le Concert Lorrain est une référence.
C’est aussi pour elle un formidable outil pour valoriser le répertoire lorrain, parfois inédit (tel le spectacle lyrique créé en 1734 Ludus pastoralis qui sera donné le 30 mars 2023 à l’Arsenal). « Je le vois comme une écologie de mon métier. Je préfère passer le minimum de temps à me transporter en avion pour des récitals et en consacrer le maximum à faire de la musique de très haut niveau là où on est. Ce fut l’une de mes motivations pour créer Le Concert Lorrain. »
Chez elle, la pratique de musicienne ne se sépare pas d’une approche de musicologue. « Lorsque je joue une œuvre, je mets mes doigts dans ceux du compositeur, je ressens ce qu’il a voulu exprimer. »
Une approche qu’elle se plaît à transmettre, professeur au Conservatoire de Metz, à Nancy ou dans des master-class partout dans le monde. Mais aussi à travers ses initiatives de concerts au jardin, cafés baroques puis apéros baroques qui ont fait le bonheur des mélomanes de la région, dépoussiérant la fausse image que l’on se fait du clavecin et de son répertoire.
Le clavecin, un partenaire à vie. « C’est un instrument proche de son passé et complètement dans son temps (elle a participé à l’enregistrement de Son parapluie du groupe pop nancéien Orwell et a joué en concert avec Chapelier Fou). Surtout sa pratique me donne du sens. Il y a quelque chose de réconfortant de jouer une musique qui a plusieurs siècles. Il faut s’appuyer sur des aspects profonds de notre qualité d’être humain et la musique c’est ça. »
Comme lorsque cette amoureuse de la nature jouait en extérieur chez elle durant le confinement. « C’était magique car les oiseaux s’approchaient et réagissaient. C’est rassurant de jouer d’un instrument qui intéresse les oiseaux et qu’ils reconnaissent. »
Après avoir fait revivre au printemps un recueil de motets composé en 1734 par Guillaume Haslé pour les religieuses de l’abbaye Sainte-Glossinde, on lui a confié un autre trésor exhumé des archives du diocèse de Metz, un manuscrit de 400 pages. Anne-Catherine Bucher s’est ainsi attelée à la recréation d’un spectacle lyrique donné dans la cour du collège des Jésuites de Metz, composé la même année par Maillard, le maître de chapelle de la cathédrale qui a succédé à… Haslé ! « Cela montre qu’il y avait à Metz un niveau musical élevé qui n’avait rien à envier à Versailles. » Ce Ludus pastoralis sera donné le 30 mars avec les étudiants-danseurs du Conservatoire. Elle rêve d’un disque Metz 1734 qui l’unirait aux motets d’Haslé. « J’y donne toute mon énergie, quitte à ce que ce soit ma dernière bataille. »