Saluée au dernier festival d’Avignon et inspirée d’une histoire vraie située au sein d’une école, la pièce Sales Gosses interroge sur le rapport aux normes et à l’autorité. Sans caricature aucune.
C’est un spectacle à l’intensité subtile et sensible, créé en 2018 par le metteur en scène Fábio Godinho. Sa vision de la pièce écrite par Mihaela Michailov échappe aux chausses-trappes d’une simple critique du système scolaire et du conformisme de la société, avec sa dose de bien pensance.
Au départ un fait divers intervenu dans une école de la Roumanie post-Ceaucescu, où une une enseignante a ligoté dans sa salle de classe une petite fille un peu lunaire, en marge mais créative (elle fabrique des animaux à l’aide d’élastiques), et dont les camarades ont suivi l’exemple en la ligotant à leur tour.
Un monologue kaléidoscopique car servant plusieurs voix, porté depuis Avignon par la comédienne messine Claire Cahen. « Le texte m’a touché en plein cœur. Un monologue où l’on doit défendre plusieurs personnages, plusieurs points de vue et statuts. J’y interprète la victime, le tyran, le bourreau et les témoins. C’était fascinant de trouver pour chacun leurs failles, leurs buts. »
Une prouesse dans cette navigation entre les justifications de chacun, mais où aucun jugement de valeur n’est porté. « Avec Fabio on a travaillé sur la justesse, sur la mesure, l’équilibre entre les personnages. En les donnant à entendre en modifiant un peu mon corps ou ma voix, mais en restant dans la force affective du propos. Pour laisser percevoir les enjeux des scènes plus que pour faire exister des personnages en les caricaturant. »
Sur une scène parsemée d’élastiques tendus par des poids, dont les déplacements structurent les espaces comme le propos (les objets de jeu deviennent instruments de torture), la comédienne n’est pourtant pas seule. La présence du multi-instrumentiste virtuose Jorge de Moura n’est pas anodine. « Il y a un rapport très fort entre texte et la musique, pour mêler le sens et le son. Elle prolonge le discours plus qu’elle ne le soutient. Le chant porte une sorte de cri intérieur. La batterie et les cymbales symbolisent les coups. Le texte ne fait qu’en donner, coups de massue, coups de cœur… »
Une pièce qui questionne nos propres contradictions, celles de la démocratie et de ses origines y comprises. Et dépasse le contexte scolaire, même si le lieu de l’apprentissage est vu ici comme un théâtre de la violence où « cette phase de l’enfance implique une violence mimétique dans notre rapport à l’autorité, à l’injustice, à la dureté de la vie. » Cette petite fille ne rentre dans aucune case. Donc elle dérange.
On peut voir en Sales Gosses un encouragement à exister en s’affranchissant. Une autre forme d’émancipation.
Les 9 et 10 juin à l’Espace Bernard-Marie Koltès