Le problème n’est pas l’âge, le boucan m’a toujours épuisé. Déjà au lycée, quand mes petits camarades gesticulaient sur Trust et Depeche mode, je fredonnais Michel Delpech. Devenu un luxe, comme le temps et l’espace, le calme est rompu ces derniers temps par les concerts de casseroles, héritiers des charivaris du Moyen-Âge. Leurs organisateurs, soit dit en passant, devraient s’inquiéter d’une possible dérive vers le harcèlement personnalisé et physique, visant des élus et leurs proches. Cette inquiétude, sans porter de jugement de valeur sur les revendications des casseroleurs, nous relie à la question finalement complexe et essentielle : quelles sont les limites de l’invective ?
Je croisais récemment une casseroleuse, dotée d’une Tefal®, d’une louche et d’un esprit fin et plutôt pacifique. Je m’épanchais sur mon asthénie frôlant la déprime. Elle me dit : « Il faut bien qu’on recycle nos casseroles, nous n’avons plus rien à mettre dedans ». Puis elle me raconte ses galères incessantes, ses combats de mère, le constat d’une misère s’infiltrant par tous les pores de la société, le sentiment d’être de ceux qu’on abandonne, s’émouvant de l’étrange répartition des richesses du dictionnaire hippique : « l’inflation galopante pour tous, les profits cavaliers pour quelques-uns ». Elle manifeste une détermination à se faire entendre face à ce qu’elle nomme « le mépris et la surdité des casseurs au pouvoir ».
La veille, je croisais la présidente du Secours Populaire de Moselle et nous parlions de Victor Hugo. Elle me dit : « Je pense que ça n’a pas changé depuis Victor Hugo. On connaît tous son discours à l’Assemblée nationale où il explique qu’on n’a rien fait tant que les gens ont faim ; tant que quelqu’un qui a travaillé toute sa vie ne peut pas subvenir aux besoins de sa famille, on n’a rien fait ; tant qu’un enfant meurt de faim, on n’a rien fait ».
Deux jours, deux femmes, deux philosophies du combat mais un même constat : une misère invasive et insupportable, éclairant la somme de nos détachements et renoncements. Un autre danger guette nos certitudes confortables, il tient dans un discours devenu hélas ordinaire : « Si ça avait dû péter, ça l’aurait déjà fait ». Relisons notre histoire, spécialement celle des étincelles, secrètes et soudaines, allumant les révolutions. Quelles que soient les raisons – morales, pragmatiques ou stratégiques – pour lesquelles nous agissons ou agirons contre la pauvreté, considérons que l’urgence devient extrême. Ils se comptent aujourd’hui par millions, nos compatriotes à bout de souffle et de nerfs.