Dans la famille Dziezuk, dont le nid est perché à Volmerange-les-Mines, la musique n’a rien de l’accessoire, elle inonde les cœurs et les mœurs. L’un des enfants du clan en a fait son métier, d’enseignant d’abord mais au-delà, depuis 1999, de compositeur de musique de films. André Dziezuk amorce cette aventure cinémusicale avec la composition de la bande-originale d’Une liaison pornographique, dont l’interprète principale, Nathalie Baye, reçoit à la Mostra de Venise de 1999 la coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine. André Dziezuk, lui aussi, fut couronné par le monde du cinéma, pour d’autres mélodies. Il vit toujours à Volmerange, juste au bord du Luxembourg, qu’il affectionne chaleureusement, et vient d’apporter la touche finale à la musique d’une série premium de TF1, Rivière perdue.
On ne le voit pas, on le connaît peu hors la profession, son nom s’inscrit juste sur les génériques de début et de fin, que seuls les fanas de cinéma, ou les traîne-savates ou les endormis, regardent jusqu’au bout sur le grand écran d’une salle obscure. Ses créations, pourtant, constituent l’un des piliers d’une œuvre cinématographique. Un quatuor complice a bâti cette carrière : le talent, la curiosité, la fierté familiale et le hasard. Ajoutons-y un cinquième responsable : la mine de fer. Pour faire le métier de mineur, son grand-père biélorusse (Biélorussie alors polonaise), originaire de Minsk, débarque au nord de la Moselle. « Et tous ses fils seront mineurs », précise André. Sa grand-mère est Ukrainienne, native de Lviv. « Je ne comprenais pas pourquoi mon père parlait polonais, ses parents étant biélorusse et ukrainien ». Il trouve l’explication dans l’histoire mouvementée des pays de ses aïeux. Du côté maternel, on parlait Platt, du fait d’une tradition et d’une histoire mosellane, elle aussi turbulente. André naît dans un berceau d’intonations et de sons variés. Ce qui ne lui déplaît pas. Il connaît par cœur le concept de la frontière, qu’il aime traverser en géographie comme en musique. Quand on le branche sur son enfance, c’est d’abord une berceuse en polonais qui caresse sa mémoire. « Mes grands-parents n’étaient pas du tout musiciens mais tous leurs enfants faisaient de la musique. C’est une époque où la musique était un peu partout, dans les cafés notamment – il y en avait de nombreux à Volmerange dans ces années-là – et mon père, Jean, a eu envie d’en faire, comme toute la famille où tout le monde pratiquait un instrument. Et comme ils étaient une famille nombreuse, ils ont fondé un orchestre familial, L’orchestre des quatre frères, dans lequel les sœurs venaient chanter ou jouer. Mon père en était le meneur, car il était accordéoniste. C’était un super musicien, il prenait ça très à cœur et s’occupait également de l’harmonie municipale ». La mère d’André Dziezuk, Thérèse, ne manque pas à l’appel de cette « génération spontanée » de musiciens et chanteurs : « Elle aime la musique et participe aux spectacles des Mille choristes de Jacky Locks », une star des chœurs et ancien collègue d’André à l’Éducation nationale. À l’harmonie municipale, André Dziezuk, comme une évidence, s’inscrit aussi. Un des premiers coups du hasard, et un copain, l’accompagnent : « À l’Harmonie, je faisais de la clarinette parce que le chef d’orchestre nous inscrivait en fonction de notre gabarit. Je suis arrivé avec mon pote, un garçon solidement charpenté. Le chef d’orchestre nous a regardés. À moi, il a dit : » toi, t’es un racho qui a des petites mains, tu vas prendre une petite clarinette « . Et à mon pote : » toi, tu vas faire de la trompette ». Et sa vie a changé ». Le pote en question, Dominique Rieux, cartonne aujourd’hui comme « l’un des plus grands trompettistes en France, créateur du Big band brass », lequel orchestre de jazz tourne à l’international et a joué – et joue – avec quelques pontes, Didier Lockwood ou Nicole Croisille. « Une histoire dingue », résume André Dziezuk. Les deux se sont retrouvés par hasard, des années plus tard, grâce au canapé de Dominique. Il s’y assoit, mate un film et s’éternise sur le générique. « Il voit mon nom et me recontacte. On a retravaillé ensemble ». Après le bac, André part avec son hautbois à Metz, pour suivre le conservatoire et la fac de musicologie. Plus tard, il est bassiste d’un groupe de punk-rock – « mais du punk-rock gentil, du punk en costard-cravate, on n’était pas les Clash non plus » –, saxophoniste de jazz (sûrement avec le saxo promis par son père s’il empochait le bac) et intègre le collectif Acid Jazz Pazpatu. Une autre rencontre, « déterminante », écrit une charnière, « un moment de bascule », sur la bio d’André : il croise Marc Mergen. « Je commence alors à faire de la musique de film, un peu à l’insu de mon plein gré. Il se trouve qu’avec Marc, avec lequel je fais du jazz, on fait aussi de la musique électro, mais on fait ça pour nous, dans notre petit home studio. On apprend alors par un ami contrebassiste qu’un réalisateur belge, Frédéric Fonteyne, cherche ce genre de musique. On lui fait trois maquettes et il se trouve que c’est pile ce qu’il recherche ». Bingo. La composition d’André et Marc devient la BO d’Une liaison pornographique, avec Nathalie Baye, film réalisé par Frédéric Fonteyne. « Et nous voilà compositeurs de musiques de film ! ». De fil en aiguille, le duo enchaîne les commandes, « on nous confie des courts-métrages, des petits documentaires, des pubs… On apprend notre métier à deux, sur le tas, et on commence à avoir des commandes dans un registre de plus en plus classique ». Marc Mergen choisit plus tard de ne pas poursuivre sur cette route et suggère amicalement à André Dziezuk d’y rester, de la prolonger en solo. Re-bingo, il poursuit, avec le succès qu’on lui connaît désormais (lire par ailleurs), sans abandonner une autre de ses passions : l’enseignement. Prof au collège de Villerupt, « vingt merveilleuses années », avant de démissionner pour asseoir sa carrière dans le cinéma et l’audiovisuel, André Dziezuk demeure aujourd’hui enseignant (informatique musicale et musique à l’image) à l’école régionale de musique de Dudelange, au Luxembourg, pas loin d’une frontière qui le voit sans cesse renaître.
Bientôt sur TF1
Plusieurs fois lauréat, notamment pour la musique d’Icare, du Lëtzebuerger Filmpraïs (équivalent luxembourgeois de l’Académie des césars française), nominé à deux reprises pour le prix SACEM/France Musique de la meilleure musique de film, André Dziezuk est aujourd’hui installé comme une référence dans ce monde de la musique de films. Il aligne une solide filmographie (à découvrir sur son site, très élégant, comme le bonhomme : andredziezuk.com) : films d’animation, longs-métrages, documentaires, séries, téléfilms, courts-métrages. Un palmarès qui, sans doute, aurait rendu fier son père, mineur, chef de chœur, cégétiste et « un peu taiseux sur le plan des sentiments paternels ». Dans cette ribambelle de succès, figure la musique d’une série premium de TF1 (6 épisodes de 52 minutes), Rivière perdue, diffusée prochainement, avec pour réalisateur Jean-Christophe Delpias (HPI, Tandem, Profilage). Dans les rôles principaux : Barbara Cabrita (Sam, OPJ), Nicolas Gob (Meurtres à…, L’art du crime), Jean-Michel Tinivelli (Alice Nevers), Bruno Debrandt (Engrenages, Caïn)… et André Dziezuk !