Sous le crachin de l’info caviardée, surgit un fait indéniable : nous sommes bien obligés de vivre ensemble. On peut s’en lasser, s’enlacer aussi, s’en réjouir ou tenter de fuir, on n’y coupe pas. Alors, cohabitons. La difficulté (et la beauté) de cette vie commune tient dans la variété de nos cultures, nos racines et nos habitudes.
Écoutons une émission ouvrant son micro à la parole des citoyens ou suivons les séances de l’Assemblée nationale, nous verrons que nous aboutissons au même constat. Défile sous nos yeux la cohue des urgences, toutes urgentissimes et assorties de l’avertissement qui condamne à agir vite : santé, éducation, immigration, climat, agriculture, indépendance industrielle, dette, sécurité, Europe, pas Europe, pouvoir d’achat, retraites, impôts, démocratie, liberté de manifester, d’entreprendre, défense de nos valeurs (mais lesquelles ?), égalité des sexes, des genres, des chances, chacun voit midi à sa porte et tous, nous cumulons les portes.
Dans cette époque entonnoir, où les supplications s’entassent dans le goulot d’étranglement, l’urgence des urgences n’est-elle pas de renouer avec la culture du compromis ? Facile à dire. Mais ici précisément intervient la responsabilité individuelle, silencieuse, invisible et ingrate, qui ne prend pas la lumière et ne s’évalue pas, quand dans le même temps la bravade ou la provocation déclenche le jackpot.
Pourquoi je pense à cet instant à Jules Romains ? Parce qu’il raconte finalement le nœud de nos présents problèmes. Dans Les hommes de bonne volonté, il tente de se mettre à la place de chacun de ses personnages, de penser comme eux. L’empathie n’exerce pas la trahison de soi-même mais l’indispensable compréhension de l’autre et de l’être. Le doctrinaire de carrière, sonnant la chasse aux allocataires sociaux, sait-il ce que coûte moralement un décrochage de la vie sociale ou comment s’organise une famille avec quatre cents euros par mois ? Un théoricien de métier connaît-il le quotidien d’un entrepreneur confronté à une charge de travail démesurée, à la solitude et à la multitude des servitudes réglementaires ? Savons-nous, derrière le mur d’à côté, quelles fibres tissent la vie de notre voisin, quels bonheurs et douleurs façonnent ce personnage que nous apprécions, détestons ou ignorons ?
Nonobstant le droit respectable de vivre caché – qui rendrait heureux – n’est-ce pas d’un plan de mobilisation des ORL dont nous avons d’abord besoin ? Nous entendons mal, nous ne prenons plus le temps de flairer l’atmosphère, nous affirmons. À commencer par moi, ici et maintenant.