« Il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler ». Je tiens cette sage recommandation de ma grand-mère, qui la tenait elle-même d’un écho de Salomon. On peut rapprocher ce conseil royal d’un proverbe arabe : « En bouche close n’entre mouche ». Pas question de la boucler pour autant, mais l’ouvrir à bon escient procure quelques plaisirs doux et insoupçonnés. Nous devrions réapprendre l’usage de ces préceptes, en ces temps où la parole devance la pensée ; où la réflexion, la recherche et l’investigation s’apparentent à des pertes de temps. L’obligation de rapidité, corollaire de l’obligation de résultat (se mesurant en clics et en euros), appauvrit la vérité et surexcite la société. Elle réduit le débat à un divertissement bruyant : qui jettera le plus grand nombre d’anathèmes et trucidera le plus sûrement son vis-à-vis ? Nous observons ce phénomène par exemple dans la pratique des chaînes d’infos en continu, transformant l’interview en un combat, une « battle » pour les fans d’anglicismes. En rangs serrés, ouvrant la marche d’une armée débraillée, les grossièretés circulent et les coups de poing et de poignard dessinent un nouvel alpha-bête, base d’un langage agressif, imprécis et désormais presque normal. Le problème le plus fâcheux n’est pas la cacophonie que cela engendre mais la maltraitance du bon sens, dans les deux sens mon général : le bon jugement et l’exactitude des mots. Le gouvernement a raison de s’élever contre la tribu des tripatouilleurs l’assimilant, au lendemain d’opérations de maintien de l’ordre, à un pouvoir fasciste. Tout historien ou politologue honnête démontrera la déraison d’un tel parallèle. Mais le gouvernement a tort d’user des mêmes moyens que ses adversaires et, à propos du conflit autour des mégabassines, d’abuser du terme « d’écoterroristes ». En pratiquant ainsi, il alourdit le climat de peur et désigne indûment des manifestants pour la plupart de vrais militants écologistes. Parmi eux, des éleveurs et producteurs défenseurs d’une agriculture paysanne en opposition à l’agro-industrie, dont les représentants les plus boulimiques continuent de détruire sans vergogne un écosystème déjà à bout de souffle. Le diable se cache dans les détails, dans les mots, parfois dans le choix d’une seule lettre : les confrontations autour des mégabassines n’opposent pas les agriculteurs – mais des agriculteurs – aux écologistes. Autant que l’ignorance et la mauvaise foi, la paresse dicte cet à-peu-près linguistique, potentiellement incendiaire. Attention au retour de flemmes.
ÉDITO Et si l'on cessait d'abuser des idées prémâchées. Non, le mois de novembre n'est pas triste. Il est bouillonnant, merveilleusement coloré et riche de commémorations. Celle du...
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