ÉDITO
« La vérité parfois déçoit. Fade, alambiquée, elle traîne en longueur, réclame des confrontations à l’abri des caméras, bref n’est pas vendeuse. »
Dans un accès d’égoïsme assez minable, je maudissais hier Vladimir Poutine, maître de guerre et faiseur d’une ignoble pénurie de moutarde. Un ami croisé à la caisse repérait mon dépit. Il entamait une expérience de psychothérapie express et inédite en grande surface : je vidais mon sac, il me disait d’aller voir ailleurs si j’y suis, au Canada précisément, responsable de nos rayons vides de moutarde. Je doute qu’un propos bancal sur la crise du condiment produise des effets dramatiques mais la paresse et l’ignorance des chroniqueurs de tout poil s’avèrent réellement dangereuses sur des sujets humainement sensibles. Prêcher dans le désert, en appeler à la patience, éprouver le silence… ample gageure dans une époque où le commentaire s’écrit avec l’idée fixe d’être le premier, à défaut d’être le plus juste. Quand le clavier esclave de l’horloge supplante la plume dévouée à la recherche de la vérité… La vérité parfois déçoit. Fade, alambiquée, elle traîne en longueur, réclame des confrontations à l’abri des caméras, bref n’est pas vendeuse. Qu’importe, semblons-nous dire. De façon addictive, nous échafaudons tout de même, nous mettons nos mains au feu et nos têtes à couper et jetons des noms sur un gloubi-boulga écœurant. Observons sereinement la progression du nombre d’affaires de violences sexuelles. Progrès incontestable : la parole des femmes est mieux entendue, elles décrivent et dénoncent davantage les prédateurs. Pour autant, l’urgence médiatique, préférant la rumeur à l’info, engendre un danger. Seule la justice tranche, à l’issue de procédures longues et éprouvantes pour les victimes. Si l’histoire de la presse témoigne de son rôle fondamental dans l’investigation et la genèse de nombreuses affaires judiciaires, cela ne confère, ni à ses journalistes ni à ses lecteurs, le statut de juge. Un autre danger rôde et se résume à l’imbécile question : quel est ton camp ? Le camp de celles qui portent plainte avec courage, qui trop souvent se voient encore assimilées à des allumeuses, récoltant ainsi la souffrance et, de surcroît, le terrible sentiment d’abandon ? Ou le camp des défenseurs de la présomption d’innocence, retoquant l’idée crasseuse « y’a pas de fumée sans feu » et rappelant une évidence : la ruse et le mensonge ne sont les monopoles d’aucun sexe, aucun âge, aucune CSP ? Ne cédons pas à la demande perverse de choisir un camp, ni à la tendance qui veut imposer, comme une loi naturelle, l’opposition perpétuelle de clans. La nuance et la notion du temps conditionnent la force d’un État de droit et les mots sont des armes, pensons-y, pesons-les.