Historien, médiéviste de formation, enseignant et écrivain, le Messin Kévin Goeuriot apparaît parmi les meilleurs connaisseurs de l’histoire délicieusement alambiquée de la Lorraine. Une histoire, dit-il, « qui ne peut pas souffrir la simplification ». De quoi plaire à ce chercheur en quête de complexités et de périodes charriant les clichés à déconstruire et demi-jour à éclairer. Lorsqu’il entame ses études à Nancy, le choix d’accoster durablement la période du Moyen Âge répond aussi à cet appétit. L’évocation de cette période – et d’autres sur lesquelles il a travaillé – le conduit à varier les plaisirs, enseignement, écriture, conférences, télévision, radio (on l’entend le mercredi matin sur France Bleu, dans l’émission C’est patois, c’est nous). Kévin Goeuriot se veut historien de liaison et d’adhérence, également attentif aux aspects plus contemporains de l’histoire, dont l’approfondissement de « quelques grandes questions [qui] restent en suspens, comme la place des femmes et des minorités » dans notre récit national. Sa thèse fondamentale : la mémoire ne fonctionne que si on la nourrit. Aux devoirs de mémoire et de vigilance, il colle donc un préalable « le devoir de savoir » : « On ne peut pas faire mémoire de quelque chose qu’on ne connaît pas ». Et met en pratique sa loi de la bougie : « Je prends souvent cet exemple en classe. Vous allumez une bougie et tôt ou tard, elle finit par s’éteindre. Soit vous soufflez dessus, soit elle s’éteint par un courant d’air, soit vous la laissez se consumer. Si vous voulez que la flamme perdure, prenez une deuxième bougie et transmettez la flamme de la première à la deuxième et ainsi de suite ».
Dans cette armée des deuxièmes, troisièmes et ixièmes bougies, Kévin Goeuriot bataille sur plusieurs fronts. Il est de ces éclaireurs et perpétueurs insatiables, boudant les approximations et les raccourcis : « L’histoire est une science et on ne fait pas d’histoire sans preuves. Mais l’histoire ne doit pas être pour autant une science aride ». Une même rigueur heureuse préside à ses activités de recherche et de transmission. En tout cas, d’abord, une passion, peut-être éclose comme le fruit du hasard : « Naître un 8 mai, pour un historien, ça ne s’invente pas ». Il débarque le 8 mai 1984, avant que son père lui offre des prémices à l’intérêt et au plaisir de la curiosité : « Je suis né à Metz mais à l’âge de trois jours, j’ai été rapatrié dans ma Woëvre et j’ai grandi à Jarny. Mes racines sont vraiment dans la plaine de la Woëvre, dans le village de Parfondrupt, dans la Meuse. C’est ici qu’on faisait du bois, qu’on cueillait du muguet et qu’on allait à la pêche. Mes souvenirs d’enfance sont dans cette Lorraine. Mon père était cheminot et ma mère secrétaire médicale. Ils s’intéressaient au patrimoine. Papa était dans la logique de nous faire découvrir un maximum de choses. En vacances, on allait visiter des châteaux, des abbayes, et comme ça m’intéressait, il nourrissait ma passion ». On dit parfois que les traits de caractère sautent une génération. Pas chez les Goeuriot. François, fils de Kévin, se passionne aussi pour la matière historique. Ce garçon, inscrit dans une école franco-allemande de Metz, maîtrise déjà quelques essentiels et il apparaîtra prochainement dans un film, produit par le Conseil départemental de la Moselle dans le cadre des Journées de la mémoire mosellane. Dans la famille Goeuriot, on ne badine pas avec l’enseignement. Après les bases attrapées à Jarny, Kévin Goeuriot ouvre sa session d’études supérieures à Nancy. Direction Poincaré en 1999, pour un cursus littéraire option arts, puis licence d’histoire en 2005, master d’histoire médiévale en 2007 et obtention du CAPES d’Histoire-Géographie l’année suivante. Si l’histoire médiévale fonde son engagement, celle de la Lorraine s’affiche comme le fil rouge de son voyage dans l’avant : « L’histoire de la Lorraine contemporaine est assez simple, en fait. Une fois qu’on a les dates en tête, 1871, 1918, 1940-45, et qu’on a le tracé des frontières dans l’esprit, il n’y a pas trop de soucis, on sait qu’on a été ballottés entre la France et l’Allemagne. Mais dès qu’on s’intéresse aux périodes plus anciennes de notre région, là, c’est un fouillis. L’espace lorrain était partagé entre le duché de Bar – et encore il y avait le Barrois mouvant et le Barrois non mouvant – le duché de Lorraine, le duché de Luxembourg, les trois évêchés de Metz, Toul et Verdun, et tous ces gens-là se faisaient joyeusement la guerre. J’ai très vite senti que c’était sur cette période qu’il fallait que je porte mon attention, pour comprendre. Plus c’est compliqué, plus je veux comprendre ». Tout comprendre pour mieux apprendre aux autres, mieux accompagner ses élèves, ses lecteurs, ses auditeurs et téléspectateurs (il est coanimateur avec Tim Girard de l’émission La règle de 4 sur Moselle TV) dans leur saut dans le grand bain de l’histoire. C’est son côté Maître nageur. Dans la gamme des méthodes pédagogiques, il demeure prudent sur les ponts jetés entre les époques et les périlleuses comparaisons. Mais il s’aventure tout de même, quelquefois, dans la sphère des parallèles. Exemple avec l’ambiance terne de notre époque : « On évite de faire des comparaisons, et en tout cas les programmes nous le déconseillent. Mais dans la réalité, les élèves font souvent le lien avec l’actualité. Je ne l’évoque pas vraiment en classe mais davantage dans des conférences ou des échanges informels. Je pense que si on réfléchit plus profondément, la période qu’on traverse fait moins penser à l’Entre-deux-guerres qu’à une nouvelle chute de l’Empire romain. On entre dans un nouveau petit Moyen Âge. Mais tout cela reste stimulant car le Moyen Âge, c’est aussi les cathédrales ou l’amour courtois ». Une analyse passionnante pour accessoirement perfectionner le sens de l’adjectif « moyenâgeux ». Ne le sommes-nous pas tous, peu ou prou, sur le meilleur et sur le pire ?