Le 12 juin, le Créanto de Créhange a réuni experts et acteurs du territoire autour d’un thème devenu central dans le monde professionnel : l’intergénérationnel. À l’initiative du District Urbain de Faulquemont, cette nouvelle édition des Rendez-vous de l’Éco, portée par son président François Lavergne, a permis de faire dialoguer un militaire, un industriel, une professionnelle de santé, un manager et de jeunes salariés, tous confrontés aux défis – mais aussi aux richesses – de la cohabitation entre générations dans l’entreprise.
Animé avec rigueur et bienveillance par Guy Keckhut, ce rendez-vous a mêlé témoignages de terrain, retours d’expérience et prises de position prospectives. Tous ont reconnu que, désormais, quatre générations cohabitent dans le monde du travail – baby-boomers, X, Y et Z – avec des écarts bien réels de valeurs, d’attentes et de pratiques. Mais loin de diviser, cette diversité peut devenir un levier d’adaptation, d’innovation et de solidarité, à condition d’être pensée, organisée et respectée.
Dans l’armée, le lien intergénérationnel comme stratégie
Le général Pierre Meyer, gouverneur militaire de Metz et commandant de la zone Terre Nord-Est, a ouvert la table ronde avec une prise de parole marquée par sa lucidité et son attachement à la cohésion humaine : « Dans l’armée, la transmission n’est pas une option, c’est une nécessité. Le combat ne se mène pas seul. » Constatant que 82 % des effectifs de l’armée de Terre appartiennent aux générations Y et Z, il a souligné la nécessité de repenser le commandement : « Nous devons apprendre à dire pourquoi. Le temps de l’obéissance sans explication est révolu. La jeunesse réclame du sens, du dialogue et de la confiance. » Au-delà de l’institution militaire, le général Meyer a plaidé pour un engagement de la société dans son ensemble : « Ce n’est pas à l’armée seule d’éduquer la nation. Nous devons retrouver des espaces communs de formation civique, de transmission des valeurs. Le lien intergénérationnel est la colonne vertébrale de la société. » Il a également proposé un engagement accru des entreprises dans la réserve opérationnelle et une ouverture plus large des écoles aux témoignages d’anciens combattants, secouristes, pompiers.
Médecine : l’éthique comme point d’unité
Isabelle Renkes, radiologue à Montigny-lès-Metz et présidente du Conseil départemental de l’Ordre des Médecins de la Moselle, est revenue sur l’évolution accélérée du rapport au travail dans le secteur médical : « On passe d’un engagement total à une recherche d’équilibre. Ce n’est pas une régression. C’est une autre manière de vouloir bien faire. » Puis elle a évoqué l’émergence de jeunes médecins exigeant des semaines de travail régulées, refusant l’isolement, recherchant le travail en équipe et des outils numériques performants. Une réalité que le monde médical, selon elle, doit intégrer sans la juger : « Ce n’est pas en opposant les anciens et les nouveaux qu’on résoudra la crise. » Mais sur le fond, elle s’est dite confiante : « Ce qui nous unit, c’est l’éthique. Le serment d’Hippocrate traverse les générations. » Et d’ajouter : « Les jeunes médecins ne sont pas moins engagés. Ils le sont différemment. À nous de leur donner les clés du collectif, sans leur imposer nos schémas. »
Industrie : quand l’ADN de l’entreprise devient un récit à transmettre
Christophe Dizin, directeur général de Grundfos France, a partagé son expérience à la tête d’une usine qui fabrique principalement des pompes et de circulateurs hydrauliques. Un environnement industriel exigeant, en pleine mutation : « Avant, on recrutait un ouvrier pour 30 ans. Aujourd’hui, on embauche un salarié en sachant qu’il restera peut-être trois ans. » Pour répondre aux nouvelles attentes, son entreprise a multiplié les initiatives : groupes de réflexion participatifs, management par la confiance, intégration des familles. « On parle beaucoup des tensions entre générations. Mais le problème n’est pas là. Le vrai défi, c’est de donner envie à chacun de s’inscrire dans un projet collectif. » Il a également rappelé que Grundfos avait fait évoluer son identité : « Les jeunes ne veulent pas juste fabriquer un produit, ils veulent contribuer à une mission. Quand on leur dit qu’on lutte contre la crise de l’eau, ils écoutent. » Et d’illustrer : « Un opérateur de 55 ans peut être formé par un collègue de 25 ans sur une interface digitale. C’est déstabilisant au début, puis enrichissant pour tous. »
Le management, territoire de reconquête
Steeve Ordener, manager de transition et directeur adjoint du Groupement d’Employeurs de Moselle-Est, a dressé un constat sans détour : « Le modèle managérial des années 80 est épuisé. L’autorité verticale, les injonctions contradictoires, la culture du présentéisme n’ont plus la cote. » Il a identifié les principales sources de friction : incompréhension des codes, manque de reconnaissance, défaut de communication entre générations. Mais il a surtout pointé une tendance plus profonde : « Beaucoup de jeunes n’ont pas quitté l’entreprise. Ils ne l’ont jamais rejointe pleinement. Ils s’en protègent. » Sa solution : former les encadrants à la posture intergénérationnelle par le mentorat croisé, l’écoute active, la médiation. « Ce n’est pas aux jeunes de s’adapter seuls. C’est à l’organisation d’évoluer. Travailler ensemble, ce n’est pas se ressembler. C’est accepter l’altérité comme une richesse. »
Deux témoignages de la génération Z
La soirée s’est achevée sur un moment fort en symboles : la montée sur scène de deux jeunes professionnels, invités à livrer leur ressenti face aux échanges de la table ronde. Marie Haag, responsable des affaires juridiques et médico-sociales au District Urbain de Faulquemont, et Matthieu Peifer, jeune ingénieur en plasturgie formé à l’INSA Strasbourg et actuellement salarié chez Grundfos, ont accepté de témoigner avec franchise et spontanéité.
Marie Haag, malgré son jeune âge, dispose déjà d’une solide expérience, notamment dans l’encadrement au sein du CHR Metz-Thionville, avant de rejoindre la fonction publique territoriale. Interpellée sur sa vision du travail, elle a évoqué un besoin fondamental : celui de trouver un sens à ce qu’elle fait chaque jour. « Le travail, pour moi, ce n’est pas uniquement une nécessité, c’est une forme d’épanouissement personnel. J’ai besoin de me lever le matin en sachant que je suis utile à quelque chose. » Elle a aussi comparé ses expériences dans les sphères hospitalière et territoriale, soulignant une différence marquante dans les relations professionnelles : « À l’hôpital, les mondes médical et administratif coexistent sans toujours se rencontrer. Dans une collectivité, la relation se construit davantage avec les élus. Ce sont deux univers, deux cultures, mais pas une question de générations. » Interrogée sur sa collaboration avec des élus de tous âges, elle a insisté sur l’importance de l’adaptation réciproque : « Je ne suis pas de la même génération que le président du District, mais nous apprenons l’un de l’autre. Il comprend mes attentes, j’essaie de comprendre les siennes. C’est comme cela qu’on avance. »
Matthieu Peifer, lui, incarne pleinement les aspirations de la génération Z : technophile, engagé et soucieux d’un équilibre entre sens et performance. Arrivé chez Grundfos après trois ans d’alternance, il évolue désormais au sein d’un environnement multigénérationnel : « Dans mon bureau, il y a des personnes avec 10, 20, 30 ans d’ancienneté. Les méthodes, les repères, les outils sont différents. Au début, ça peut être intimidant, mais avec du dialogue, on se comprend. » Il insiste sur la valeur du partage bilatéral : « Les connaissances ne circulent pas dans un seul sens. Nous avons des formations récentes, on peut apporter des idées nouvelles, des réflexes numériques. En échange, on apprend du vécu, de l’expérience. » Quand on l’interroge sur ses aspirations, le jeune ingénieur répond sans détour par… le travail. Une réponse qui en dit long : « Le travail fait partie intégrante de la vie. Ce que je cherche, c’est de progresser, de me sentir utile, d’apprendre toujours. » Comme Marie, il attend des générations qui l’ont précédé non pas des leçons, mais des échanges francs et constructifs : « Si une entreprise n’a pas de valeurs à partager, pas de cap à proposer, il n’y a pas de raison d’y rester. Ce qu’on veut, c’est un projet commun, un fil conducteur, quelque chose à construire ensemble. » Et de conclure par une conviction forte : « On a tous à apprendre les uns des autres. Travailler ensemble, ce n’est pas une question d’âge. C’est une question de respect et d’objectifs partagés. »
François Lavergne : « La jeunesse n’est pas un défi, c’est une ressource »
Président du District Urbain de Faulquemont et maire de Créhange, François Lavergne a replacé ces échanges dans une perspective territoriale : « Ce que nous construisons ici, dans nos entreprises, nos services publics, nos clubs sportifs, c’est une chaîne de confiance. » Puis, il a souligné l’importance du lien entre les âges : « Un territoire sans lien entre ses générations est un territoire qui perd son âme. » Pour lui, l’avenir passe par des projets fédérateurs et transversaux : mentorat inversé, mécénat de compétence, transmission intergénérationnelle en insistant sur le fait qu’« il faut créer des ponts, pas des murs. »
Une conclusion partagée
En clôture, Guy Keckhut, conducteur du débat, a rappelé que les tensions supposées entre générations sont souvent des malentendus plus que des fractures : « Il ne s’agit pas seulement d’âge, mais de regard, de posture, d’écoute. L’intergénérationnel est une question d’attention. » Pour autant, le message reste clair : les écarts d’âge ne sont pas des obstacles mais des ressources à condition de les reconnaître, les comprendre et les intégrer. À Créhange, la parole a circulé. Et le dialogue, lui, a ouvert des pistes d’action.