ÉDITO
« Pourquoi le décès, une semaine avant Elizabeth II, de celui qui a bouleversé l’ordre mondial, Mikhaïl Gorbatchev, a si peu séduit CNews et consorts ? »
Enfin je connais l’état schizophrènique. Acte I : le cerveau agrippe le cœur quand le reporter, la voix fatale, me souffle que la reine passe de vie à trépas. J’aimais Elizabeth II, son élégance, son humour, son parlé français si chic, son affection sincère pour les roses et la France. Acte II : l’encéphale primaire se rebelle et me casse les pieds avec la débauche d’heures consacrées à tous les faits et gestes de la monarchie britannique. Des directs en pagaille où l’on observe, outre des Londoniens en pleurs et des fleuristes en manque, les héritiers de cette formidable reine ouvrir le bal d’une monarchie comblée de frasques et fleurant la décadence.
On s’interroge, quelques jours plus tard, sur la motivation de la Première ministre française, Élisabeth Borne, expédiant un courrier aux maires de France, leur demandant la mise en berne des drapeaux à l’heure des funérailles de la souveraine. Ce n’est pas la première fois que la France s’incline officiellement, collectivement et en grandes pompes devant la dépouille d’une sommité ou d’un chef d’État étranger. François Hollande, président de la République en 2013, commettait la même requête à l’occasion des obsèques de Nelson Mandela.
Comparaison intéressante. Le fait que Madame Borne accomplisse cette demande ne pose pas problème, au fond, mais pose question. Que laisse Nelson Mandela à l’humanité ? Il redit, avec une force rare, le caractère irrecevable et insoutenable de la domination d’une race ou d’une caste sur une autre, que l’audace, la folie ou la foi préserve toujours la flamme, que toutes les réconciliations sont possibles, bien que fragiles, que le temps est un allié précieux.
Quand l’ancien président sud-africain délivre un message universel et intemporel et éveille les consciences, la reine d’Angleterre délivre des leçons de vie et réveille des émotions. Certes charmante, perspicace et sur certains sujets révolutionnaire, Elizabeth II incarne d’abord un demi-siècle, de 1950 à 2000, sorte de nouvelle « belle époque » que nous avons adorée, que nous pleurons et regrettons. Elle suscite la nostalgie et l’émoi. Rien de surprenant alors à ce que Matignon, au-delà du geste amical d’un peuple à un autre, surexploite l’image de cette reine, cette femme, cette mère et grand-mère qui nous rassurait.
Demandons-nous tout de même, pour comprendre comment le monde médiatique turbine, pourquoi le décès, une semaine avant Elizabeth II, de celui qui a bouleversé l’ordre mondial, Mikhaïl Gorbatchev, a si peu séduit CNews et consorts.
* Dieu bénisse le spectacle