ÉDITO
« Qu’en est-il d’un boycott dont l’usage, dans nos sociétés qui se radicalisent, va probablement s’étendre ? »
La question inonde les canards et les conversations de machines à café : faut-il ou non boycotter la coupe du monde ? Qu’on foute donc la paix aux fans de foot et les laisse mater les matchs peinards !
Le Qatar et sa conception méprisable du droit des travailleurs et de la lutte contre le changement climatique mériteraient un boycott, cela ne souffre aucune contestation. Pour autant, l’idée de boycott arrive tard, ce type de blocus s’organise généralement très en amont et produit des effets lents.
La question demeure toutefois légitime et intéressante à explorer : quel boycott aurions-nous pu organiser pour embarrasser le Qatar et la FIFA ? Je vous fiche mon billet, la réponse se trouve dans le porte-monnaie. Pourquoi pas une application indiquant les débuts et fins des temps publicitaires afin d’éteindre massivement nos écrans à l’heure du bourrage de crâne par les marques ?
Le principe du boycott pose une question plus fondamentale, sur les pouvoirs dont un peuple dispose. Le bulletin de vote en représente-t-il encore un ? Pour pêcher une réponse, observons par exemple les alternances politiques depuis 1945, en France, et ce qu’elles ont engendré de bouleversements dans nos vies quotidiennes. Le bulletin demeure l’outil opérant d’un peuple souverain, certes malmené par des organisations nébuleuses.
Qu’en est-il d’un boycott dont l’usage, dans nos sociétés qui se radicalisent, va probablement s’étendre ? Il me revient en mémoire un autocollant posé sur le frigidaire chez mes parents (on disait autocollant, pas sticker, on n’avait pas encore capitulé face aux anglophones). Il clamait « Non aux oranges Outspan ». Nous étions dans les années soixante-dix et je ne mangeais donc pas d’oranges Outspan, produites dans l’Afrique du Sud de la ségrégation raciale. Ce boycott pacifique, timide amorce d’un changement de régime en Afrique du Sud, fut un succès : une baisse de 30% du chiffre d’affaires des producteurs d’oranges, suscitant des pressions de leur part sur le pouvoir blanc sud-africain.
Une autre question se pose, sur la méthode. L’histoire nous indique aussi des pistes de réflexion, particulièrement les combats de Gandhi, Luther-King, Mandela ou Walesa. Les boycotts ou blocus fondés sur la violence, l’absence de dialogue, l’hyper radicalité basée sur la seule certitude d’avoir raison, mènent souvent à l’impasse. L’autorité d’un peuple s’écrit sur un long chemin, balisé par des règles démocratiques. La vraie révolution, pas celle des petits casseurs se rêvant en Robespierre, requiert du talent et porte une certaine idée de la comptabilité : un plus un font mille et parfois plus.