ÉDITO
La soudaineté de la campagne électorale a accéléré la transformation d’un moment démocratique en un concours de grossièretés et d’approximations sémantiques. Des politiques et des médias l’ont organisé. Ils ont favorisé la confrontation de blocs imperméables à la nuance et à l’explication. La prédominance de deux ou trois sujets, parmi les plus clivants mais pas les plus importants, livre l’image de notre nouvelle démocratie. J’observe la rareté, désespérante, des sujets liés à l’éducation, à l’écologie – dont les spécialistes annoncent des catastrophes imminentes – ou à la défense, l’industrie, la recherche, la santé ou la ruralité, traités avec une négligence désolante.
Il serait illusoire, long, précoce, de vouloir analyser sérieusement, ici et maintenant, la victoire du Rassemblement national. L’extrême-droite puise l’essentiel de ses forces dans un tourbillon que nous ne maîtrisons plus, dans le spectacle de la désorganisation du monde et dans une volonté populaire d’en découdre avec les responsables, avérés ou pas, de ce désordre. Ce parti s’appuie sur la technique du chaos, un classique de l’extrême-droite parfaitement illustré par Marine Le Pen lorsqu’elle déclare : « La France est un champ de ruines ».
La France a perdu de sa superbe et je ne suis pas le dernier à râler sur la détresse des paysans, le système de tracasseries administratives, les quartiers livrés à des dealers ou les dramatiques fermetures de services publics et commerces physiques. Mais je ne suis pas le dernier non plus à sillonner la France, pour mon métier, depuis quinze ans, où j’ai rencontré des milliers de Français créatifs, accueillants et fiers de leur pays. C’est leur faire injure que d’évoquer un champ de ruines, et c’est la révélation d’une profonde méconnaissance de ce pays, aggravée par une ignorance de notre histoire.
La question de la nationalité, fondamentale, ne peut faire l’objet d’une foire aux insultes. L’idée française de la nationalité dessine une sorte d’hydrographie géniale : les petites rivières qui font les grandes, les affluents, les voyages de l’eau, de la source enseignant nos origines à la mer déployant nos horizons et nos ressources. À ceux qui envisagent de rabougrir ce concept et d’interdire certains emplois dits « sensibles » aux binationaux, rappelons l’Histoire, notamment celle des deux dernières Guerres mondiales : était-il interdit aux binationaux et aux étrangers d’occuper les postes sensibles sur le front ou dans les maquis ? C’est au nom de la France qu’ils allaient se faire massacrer. Qui sommes-nous, si nous l’oublions ?