Le 6 octobre 1919, moins d’un an après le retour de Metz à la France, le 19 novembre 1918, se tient un conseil municipal demeuré célèbre. Le premier point de l’ordre du jour concerne la francisation des noms de rues. Retour à la langue française, après 47 ans d’annexion…
Le conseil municipal efface toute trace de noms de rues allemands (137 au total), jusqu’en 1940 certes ! Le principe était simple : les noms existants avant 1871 sont remis en circulation, voire traduits en français s’ils avaient été gardés par les Prussiens. Certains noms nouveaux sont même proposés à cette occasion, notamment pour souligner une attitude remarquable durant l’annexion. Paul Bezanson (maire révoqué en 1877, député protestataire de 1878 à 1881) est ainsi mis en avant : la rue Paul Bezanson remplace la Kaufstrasse (rue du commerce).
Une proposition est toutefois recalée ce soir-là par l’Adjoint Goulon : elle concerne Paul Déroulède. Dans la conclusion du rapport, on trouve cette phrase laconique : « l’administration municipale avait proposé de donner à la rue de la gare (la rue Gambetta actuelle) le nom de « rue Paul Déroulède ». M. Goulon combat cette proposition disant que Déroulède était un mauvais républicain et que sa mémoire serait déjà suffisamment honorée à Metz par l’érection d’un monument. Sur cette intervention de M. Goulon, la commission municipale décide de maintenir l’appellation de « rue de la gare » ».
Rappelons que Paul Déroulède, (né le 2 septembre 1846 à Paris et mort à Nice le 31 janvier 1914), s’engage en 1870 dans la guerre franco-allemande et accomplit quelques faits d’armes, notamment à Bazeilles. En 1871, il participe à la répression de la Commune de Paris. En 1874, une chute de cheval lui fait quitter l’armée. Il commence alors une carrière littéraire et politique. En 1882, il fonde la Ligue des Patriotes et fait son entrée à l’Assemblée nationale en 1889. Son action politique sera en permanence motivée par la revanche à l’égard des Allemands. Dans le même temps, il est un des leaders de l’anticolonialisme et prend une position dreyfusarde pendant « l’Affaire ». En 1900, il tente un coup d’État contre le Président du conseil, qui sonne la fin de sa carrière politique et sera la cause de son bannissement en Espagne. Il est amnistié en 1905 et meurt d’une crise d’urémie à Nice début 1914. Triste destin pour celui qui appelait de ses vœux la revanche et ne la verra pas.
La statue évoquée par l’adjoint Goulon, et qui devait suffire à sa gloire de « mauvais républicain », coulée avec le bronze récupéré du monument dédié à Frédéric III de Prusse, est inaugurée le 16 octobre 1921 sur l’actuelle place Raymond Mondon, grâce à une subvention de l’État de 4000 francs et à une souscription publique de 50 000 francs. Elle sera détruite par les Allemands en 1940. Cependant, en 1950, un particulier retrouve la partie composée des 2 fillettes représentant l’Alsace et la Lorraine et la ramène à Metz.
L’adjoint Hocquard, futur Maire (1938-1940 et 1944-1947), dans la séance du 25 octobre 1929, définit par ailleurs les grands principes d’attribution de nom à une rue (hodographie) dans une ville au passé mouvementé comme Metz : « Rappelons les grandes directions qui ont toujours présidé à l’appellation de nos rues depuis l’Armistice. Nous avons toujours recherché des noms caractéristiques, des noms qui soient bien à nous et qui, par eux-mêmes, s’imposent chez nous, tandis qu’ailleurs ils seraient déplacés. Ce sont là des principes de saine hodographie et qui toujours ont trouvé votre approbation. Quand on a l’honneur de présider aux destinées d’une ville comme la nôtre, qui n’est pareille à aucune autre, il est nécessaire et c’est un devoir pour nous de consacrer à ses artères des noms bien messins. Nous devons aimer rappeler à nos contemporains des noms de gens qui ont vécu à Metz, ont aimé notre cité et ont contribué à son rayonnement. Notre ambition doit être que les plaques indicatrices de nos rues soient des pages de l’histoire de Metz, toujours ouvertes à la curiosité de nos concitoyens ».
Avec un tel cahier des charges, il est clair que Déroulède demeure mis au ban pour un certain nombre d’années. Il a fallu attendre le 24 septembre 1971 et l’arrivée de l’autoroute au centre-ville pour qu’il se voit attribué le pont surplombant cette nouvelle voirie et reliant les avenues Ney et de Lattre de Tassigny. On ne saura jamais ce qu’il aurait pensé d’une telle proximité avec les deux glorieux militaires !