Avec Local Rock’n Roll Circus, Denis Jaro Sinski livre des récits coup de poing, mélange brut de souvenirs autobiographiques et de fictions à fleur de peau. Cet ouvrage retrace une époque où la scène rock de Lorraine était un joyeux chaos, peuplé de riffs saturés, de colères sourdes et d’espoirs fous. Rencontre avec un artiste qui transforme chaque désillusion en cri de liberté.
Pourquoi qualifier son parcours et cette époque de « cirque » ? Jaro Sinski répond avec une ironie mordante : « Jusqu’à ce que je devienne intermittent du « spectaculaire » en 1994, j’ai toujours jonglé entre la musique et des jobs improbables : tireur de câbles, vendeur en bricolage, formateur en « communication et raisonnement logique »… Et la scène rock était tout sauf organisée. On jouait dans des conditions parfois terribles. Je me souviens d’un concert au nord du Luxembourg, pour une fête du cochon : la scène était au bas d’une colline, avec des cochons qui rôtissaient au sommet. En plein cagnard, on jouait devant des gens qui mangeaient avec les doigts. On aurait dit un tableau de Jérôme Bosch ! »
Au-delà des anecdotes surréalistes, c’est aussi une époque d’efforts intense. Ce « cirque » illustre les jongleries nécessaires pour réconcilier passion musicale et survie. « Répéter cinq à six fois par semaine, jouer tout le week-end, et se retrouver le lundi matin face à des stagiaires non motivés, ça forge une sacrée endurance. Gérer un groupe de rock demandait une énergie folle », évoque-t-il.
Des bals populaires au punk rock
Originaire de Joeuf, Denis Jaro Sinski commence sa carrière musicale à 12 ans dans un groupe de bal. Mais il s’éloigne vite de cette scène : « La Danse des Canards et la Chenille, très peu pour moi. Je rêvais d’imiter Hendrix ou Santana, mais sans succès. Et puis est arrivé le punk, qui a balayé tout ça. Deux accords suffisaient pour faire une chanson. Ça allait droit au but. »
L’émergence du punk en 1977 est pour lui un tournant : « Iggy and the Stooges, Dr Feelgood, Suicide… Tout partait dans tous les sens, c’était exaltant. L’année 77 restera comme un grand millésime du rock. » Ce passage du bal populaire au punk reflète son évolution artistique : faire table rase pour créer quelque chose de vrai.
La rage des scènes locales
Dans les années 70-80, la scène rock lorraine était aussi bouillonnante qu’inégale. Pour Jaro Sinski, l’objectif était simple : « Jouer. Jouer partout, le plus possible. On écrivait nos propres chansons, ça nous distinguait. Certains groupes comme les Dregs ou Bloc 96 étaient époustouflants. Le chanteur des GTI’s, Schultz, qui fondera Parabellum plus tard, faisait des solos à la Chuck Berry en sautant comme un cabri. Très impressionnant. »
Cette effervescence cachait pourtant des réalités bien plus sombres : « Avec le déclin économique, l’héroïne s’est répandue comme la peste. Dans ces villes grises, les jeunes n’avaient que deux échappatoires : devenir star de rock ou footballeur professionnel. Autant dire jouer au loto. » Cette situation de crise donnait à la musique une urgence vitale car jouer, c’était survivre.
Figures mythiques et inspirations
Au fil des pages, le recueil de nouvelles évoque des figures marquantes. Parmi elles, Jean-Claude, le frère aîné de Denis : « En 1970, il était ce hippie aux cheveux longs qui écoutait Santana, les Doors, Magma. Moi, j’étais ce gamin hypnotisé, qui découvrait un monde nouveau. Mon frère avait un don pour raconter des histoires. Il m’a transmis le goût de la lecture et de la science-fiction. »
Mais ce sont aussi les rencontres avec des icônes du rock qui marquent : « Passer toute une nuit à discuter avec Lee Brillaux de Dr Feelgood reste gravé à jamais. Ce mec était l’incarnation du rock brut. » Quant à l’anticonformiste et avant-gardiste Alan Vega, il le décrit comme « une claque ambulante. Il était brut, sans concession. Ouvrir pour lui, c’était un honneur. »
Au fil des pages, Jaro Sinski rend hommage à tous ceux qui l’ont inspiré, des artistes aux amis musiciens : « Ces gens, avec leurs forces et leurs failles, étaient authentiques. C’est cette vérité que j’ai voulu capturer. »
L’écriture comme exutoire
Après une carrière riche en musique et en théâtre, Jaro Sinski se tourne vers l’écriture pour conjurer un cancer : « Durant ma convalescence, j’ai écrit une pièce avec mon ami Olivier Piechazick. Puis j’ai intégré une résidence d’écriture en Belgique, au château du Pont d’Oye. Là-bas, j’ai couché sur le papier des souvenirs et des hommages à mes amis disparus. »
Son style s’inscrit dans l’esprit d’auteurs tels que James Ellroy ou Raymond Chandler : « J’aime les écritures acérées, sans superflu. Comme dans le rock, il faut aller droit au but. ».
Un cri pour les nouvelles générations
Denis Jaro Sinski livre un message clair aux jeunes artistes : « Ne cherchez pas la gloire. Faites votre propre musique, sincèrement. Picasso disait : « On commence par imiter ceux qu’on admire, puis ça devient autre chose« . Soyez authentiques. » Et de poursuivre : « Apprenez tout ce que vous pouvez. Chaque compétence peut devenir une arme. Restez des éternels étudiants. Ça, c’est une leçon de ma Nonna, et elle avait raison. »

Local Rockín Roll Circus de Denis Jaro Sinski 192 pages / 19,90€ / Le Lys Bleu Éditions