Ne lui dites pas que la jeunesse des années vingt, version XXIe siècle, est désœuvrée, qu’elle ne sait plus lire, écrire, penser, vous allez l’agacer.
D’abord prof de lettres, inspecteur de l’Éducation Nationale puis conseiller à la DRAC, chargé de l’éducation artistique et culturelle, par ailleurs auteur, notamment d’un guide sur La conjugaison facile et pratique, Sébastien Paci retoque l’idée d’un appauvrissement intellectuel des jeunes français : « La langue évolue et c’est une bonne chose. Si on parle de la langue française du XIXe siècle, certes nous sommes éloignés mais on l’était déjà dans les années quatre-vingt quand on disait chébran. Ça m’énerve quand on dit que les jeunes ne savent plus parler. Je trouve, au contraire, qu’ils se débrouillent plutôt bien, ils se fixent des codes, ils écrivent en SMS, parfois avec des fautes d’orthographe mais ils savent, quand il le faut, écrire en langue normée, ils comprennent, pour la plupart, à qui ils s’adressent. Je n’ai pas l’impression de voir de différence par rapport à ma génération [Sébastien Paci est né en 1974]. On parlait entre nous notre koinè d’ados ou de jeunes adultes mais quand on s’adressait aux professeurs ou aux parents, on parlait d’une autre manière. Je ne suis pas un déclinologue de la langue. On regarde la jeunesse parfois avec pessimisme parce qu’elle bouscule nos paradigmes. Mais les jeunes cherchent aujourd’hui, et trouvent, un sens à ce qu’ils font. Nous étions moins dans cette recherche de sens, on était dans une démarche plus fonctionnelle, il fallait notamment trouver un job, et si on pouvait l’avoir au Luxembourg pour avoir plus de fric, c’était super. Ma génération attendait moins de son travail et de sa vie qu’ils correspondent à des valeurs. Il me semble que les jeunes véhiculent aujourd’hui davantage de valeurs, et ça me réjouit. Ils sont par exemple très attentifs aux questions d’écologie. Comme dirait Jean-Claude Van Damme, ils sont plus aware[au courant] que nous ».
Voilà Sébastien Paci ! Il retourne la table, en douceur, et débarque où on ne l’attend pas, sur ce sujet – et quantité d’autres – de la jeunesse qui ne sait plus rien foutre ma bonne Dame. Des bavettes de comptoir nourrissant facilement le Tout fout le camp mon bon Monsieur. À contre-foule, il pellette, creuse profond et analyse loin des poncifs.
Né à Villerupt, écolier à Bure – commune de Tressange – collégien à Aumetz, lycéen à Thionville, troufion à Montigny – il joue de la clarinette au 4e Régiment de Hussards – étudiant à Metz et Nancy, le cercle de ses découvertes géographiques et culturelles s’élargit presque méthodiquement. Il déboule d’une famille de la classe moyenne, élite populaire, avec une mère institutrice et directrice d’école, un père sidérurgiste au Luxembourg. Intello au cœur ouvrier, uni par tradition et conviction à l’étoffe des classes laborieuses tissée dans le Pays-Haut, Sébastien Paci assimile de bonne heure (de bonheur) la culture des contraires et des frontières, l’ouvrant à un plaisir, un devoir, de vivre en questionnement constant.
L’ancien enfant de chœur – dans la chapelle de Bure qui contemple désormais l’école publique désaffectée – se dit toujours très sensible, sans croire en un Dieu, aux questions de spiritualité. Des interrogations qu’il étanche, partiellement, provisoirement, dans son roman Tombé du ciel (lire par ailleurs) et dans son goût pour la rencontre et les mots qui se frottent, ébruités dans la palabre de la machine à café comme dans le symposium de haut vol.
À l’aise, ici et là. La cohabitation des contraires est un art de vivre et la quête de l’harmonie un combat, il le sait et le saisit dans sa passion pour la musique, quand il écrit l’odyssée des blanches et noires en coloc sur la gamme. Il compose pour des orchestres à plectres – mandoline, guitare – et ses œuvres sont jouées sur toute la planète. Il l’explique sans plastronner : « C’est facile d’être connu dans un microcosme ». Une référence toutefois prestigieuse qu’il pose – toujours ce penchant pour la table renversée – tout près de sa nostalgie des années quatre-vingt : « J’aime être nostalgique ». L’aveu est détonnant quand on le colle à sa profession de foi pour des lendemains qui chanteront peut-être : « J’ai confiance dans la jeunesse et, même dans ces périodes troublées, j’ai confiance dans l’avenir. Mais j’adore me repasser des nanars des années quatre-vingt. Je peux revoir cinquante fois La Boum. Ma playlist sur Spotify, c’est les années quatre-vingt, la variété française, la pop anglaise ».