« Connais-toi toi-même », Socrate et d’autres ont théorisé cette invitation, prenant selon les époques et les contextes diverses significations. Il peut s’agir de mieux savoir, donc mieux maîtriser, nos ressources et potentiels. Cette connaissance des forces et faiblesses de son corps, de son cœur et de son esprit, acquise parfois sur un long chemin, constitue un des ressorts des séances d’accompagnement de Sabine Girard. Elle a ouvert son cabinet de thérapeute et de coach spécialisée dans les traumatismes de la vie, il y a deux ans et demi, à Moulins-lès-Metz.
On pourrait la décrire comme une première de cordée, nous emmenant en expédition dans cette machine exceptionnelle, et si complexe, qu’est l’être humain. La première étape de l’exploration consiste à fabriquer les liens. Sabine Girard : « Mon accompagnement va agir sur trois dimensions, cœur, corps, esprit. Le cœur, c’est-à-dire l’émotionnel. Le corps, le physique. L’esprit, le psychique et le psychologique. Un accompagnement complet, touchant à ces trois dimensions, a pour objectif de transformer une situation de souffrance. Imaginons, par exemple, que nous prenions uniquement la dimension mentale, on laisse de côté finalement tout ce que le langage corporel peut apporter, mais aussi le ressenti corporel et ce que les émotions signifient à notre personne et à notre vie. Les trois dimensions sont essentielles, notamment en matière de violences sexuelles, car la victime vit une agression dans son corps physique, mais cette agression s’est répercutée sur l’émotionnel et le psychologique ». Sabine Girard pèse tous ses mots et les pose avec délicatesse. Elle ne parle pas de se reconstruire, mais de « se réparer » : « Ce que je dis toujours à mes clients – je parle de clients parce que je ne suis pas psychologue ni médecin –, c’est que le traumatisme ne va pas s’effacer, il fait partie de la mémoire de leur corps, de leur cœur, et de la mémoire mentale. C’est gravé. Par contre, le chemin que nous allons emprunter, c’est celui d’une réparation qui va leur permettre de vivre le mieux possible avec ce qui est arrivé. La cicatrice demeurera mais l’idée est que nous arrivions avec le travail thérapeutique à une forme de neutralité, lorsque la personne se souvient de ce qu’il s’est passé ».
L’élasticité variable de nos mémoires met la thérapeute et son client au défi. Sabine Girard évoque plusieurs types d’amnésie, l’explication éclairant utilement nos lumières sur certaines manières d’agir, dont celles des femmes victimes de viol et portant plainte tardivement. Elle souligne la pluralité des traumatismes sur lesquels elle fixe une écoute « sans jugement » : « Il y a trois catégories de traumatismes. Le traumatisme « simple », de type 1 ; c’est par exemple lorsque vous apprenez que vous avez un cancer, c’est un choc traumatique. On le dit « simple », je mets des guillemets, parce qu’il arrive à un moment donné, sur une période circonscrite, et qu’il est bien identifié. Ça peut être aussi les conséquences d’une catastrophe naturelle ou d’un accident de voiture. On entre dans les traumatismes complexes, de types 2 et 3, à partir du moment où il y a répétition d’événements potentiellement traumatogènes. Pour les types 3, ce sont les traumatismes nés dans l’enfance et qui perdurent. Ce sont des traumatismes très profonds » dont la révélation apparaît diversement. Sabine Girard relate, sans trahir aucun secret, l’exemple de clients dont « une remontée de souvenirs traumatiques » survient au bout de deux ans de thérapie. « Le principe du traumatisme complexe est particulièrement lié aux violences sexuelles, parce que se met en place une amnésie traumatique, partielle ou complète. Des personnes ont parfois occulté des événements traumatiques qui se sont déroulés dans l’enfance, et tout à coup, lors d’un événement ou d’une réflexion, une prise de conscience intervient. Cette sortie d’amnésie est très impressionnante, elle apparaît à la personne sous forme d’images, de cauchemars ; ça peut être un son, un mot, une scène qui lui rappellent quelque chose. Certains de mes clients sont très conscients de leur traumatisme, d’autres viennent simplement m’exposer des situations de vie délétères, dans le couple, en famille, au travail, et le traumatisme prend une forme plus précise plus tard ».
Ces faits cachés, « mis à l’abri de la conscience » résultent d’une action du cerveau qui, à un moment, « disjoncte » : « dans les cas complexes, il coupe votre circuit émotionnel, sensitif et corporel, mais aussi les circuits de la mémoire. Se met alors en place une mémoire parallèle ». Comment répond-elle à ces blessures profondes, confinant parfois à une petite mort relationnelle et spirituelle ? Comment parvient-elle à aider cet autre à « se réparer » ? « Je ne suis pas là pour conseiller, mais pour accompagner et guider. Ce qui est important, c’est que mon client conserve son autonomie, son pouvoir d’agir et sa liberté de décision. La confiance est la base de notre relation et les mots utilisés ont une grande importance, mais pas que les mots, la première chose importante chez le thérapeute, c’est l’écoute, neutre, attentive et empathique, lorsque vous videz votre esprit pour vous mettre au diapason de la personne en face de vous, lorsque vous vous laissez traverser par les mots qu’elle prononce et entendez ses émotions ».
Le client peut-il alors rester sur sa faim, espérant des solutions plus immédiates ? Probablement, un temps, jusqu’à entendre Socrate et son « Connais-toi toi-même ». La leçon du philosophe grec, Sabine Girard la revisite, sans s’interdire de soumettre « des pistes » : « La solution est en chacun de nous. Mais nos habitudes, nos croyances et nos perceptions aboutissent à une pensée focalisée sur un mode de fonctionnement, et de manière involontaire, nous occultons d’autres possibilités de cheminement ou d’autres solutions. Le travail du thérapeute consiste à aider à révéler ces chemins ». À envisager un corps à cœur intime et tout en patience. Vianney Huguenot
Renseignements sur ses publications, formations (dont une en direction des aidants) et conférences (dont mardi 17 octobre à 18h30 : Traumatisme psychique et blessures de l’âme, inscription préalable) sur www.sgresilience.eu
sg.resilience@outlook.fr/06 70 32 50 61
» On ne s’improvise pas thérapeute «
Elle-même a subi des traumatismes, dont l’annonce bouleversante d’un cancer. Des épisodes de sa vie et un travail thérapeutique sur soi-même renforçant son empathie et le désir d’aider les autres à préparer un cheminement, à « se réparer, se libérer, se transformer pour être vivant, authentique et pétillant dans la vie ». Un état d’esprit l’a conduite vers ce métier, rallié « par passion et par intérêt pour l’être humain » : « Ma matière préférée, lorsque je préparais ma maîtrise d’histoire contemporaine à Metz, et lorsque j’enseignais, c’était l’histoire sociale, ce n’est pas un hasard ». Plus tard, pendant 25 ans, elle œuvre dans le monde de la formation professionnelle : « J’ai dans ma vie ce fil conducteur de la transmission et j’ai un parcours plutôt cohérent ». La passion et le goût ne font pas tout. Sabine Girard s’applique donc à suivre à nouveau des études supérieures et attraper les diplômes requis : « On ne s’improvise pas thérapeute dans le traumatisme et les violences. Quand vous avez affaire à des gens qui ont été malmenés et maltraités par la vie, il s’agit pour le thérapeute, sur ce sujet très sensible, de ne pas les malmener à nouveau, même de façon involontaire. Pour moi, il était donc impératif que je me forme. Je suis allée suivre un cursus universitaire en traumatologie et victimologie en Belgique ». Elle dévore des livres sur ses spécialités, « par curiosité intellectuelle et parce que dans nos métiers, on se forme tout le temps ». Elle s’accorde quelques concerts de parenthèses, avec le souci de couper avec son activité, de ne pas éponger en permanence la souffrance du monde. Au programme, littérature, jazz, théâtre, balades, dans une ville de Metz que l’Ardennaise de naissance « adore ».