ÉDITO
« Les plus grands (scientifiques, politiques, artistes…) sont reconnaissables à leur humilité, leur simplicité et leur discrétion. »
Nostalgique irrécupérable, je dégaine mon rétroviseur en mode Lucky Luke défouraillant plus vite que son ombre. Je collectionne les madeleines de Proust comme d’autres les boîtes de camembert. Je savoure la torpeur du symposium solitaire et mélancolique lorsque je visite les livres qui ont nourri ma jeunesse et balisé mes révisions du bac : Mauriac, Zola, Voltaire ainsi que les œuvres complètes de Pif le chien, rangées sous les disques de Nicolas Peyrac.
Dans cette mémoire insondable, il m’arrive de trier, d’étiqueter mes plus belles rencontres et, toujours, jaillit sur le haut du podium un coup de fil, un matin, à Yves Coppens. Immense savant et « père de Lucy », il a souvent honoré la Lorraine de ses visites. Son décès mercredi dernier m’a emmené sur un sublime et subtil chemin, pour une épreuve de marche à l’envers. Rétroviseur, mon beau rétroviseur, dis-moi que je suis le plus paradoxal, bizarrement triste et heureux.
Nous sommes en 2008 et je sollicite Yves Coppens pour la postface d’un livre sur la géographie. Il dit oui, nous nous quittons, la vie coule puis l’échéance du bouclage arrive. Yves Coppens m’appelle, son texte est prêt, nous bavardons, il conclut en substance : « Je ne sais pas si le texte est comme il faut, vous pouvez me suggérer des modifications… ». Quoi ? Sabrer Yves Coppens ? Vous n’y pensez pas. Son texte est une perle, sertie d’exquises pointes d’humour et respirant la gentillesse qui le caractérisait.
Deux autres rencontres, avec le chanteur Georges Moustaki et le diplomate et écrivain Stéphane Hessel, me conforteront plus tard dans ce point de vue : les plus grands (scientifiques, politiques, artistes…) sont reconnaissables à leur humilité, leur simplicité et leur discrétion. Sans tenir de propos définitifs sur notre époque, ni verser dans la généralité dangereuse, je confesse que je redoute toujours l’exercice des comparaisons. Les stars de notre temps fanfaronnent derrière des lunettes noires, escortées par des foules qui ne les respectent pas, les idolâtrent seulement, un temps, avant de tourner les talons et de passer au suivant. Derrière les vitres fumées de leurs bécanes monstrueuses et de leurs villas rococo-grotesques, ça turbine, les doutes se convertissent en évidences, les mots fades en dollars ou suffrages, les festivals de Cannes en défilés de mode.
Probablement, ce XXIe siècle d’apparence morose produit encore des perliers. Mais éblouis par le clinquant et le bruyant, nous ne savons plus discerner le bouillon de l’écume. Ainsi vont les papillons de nuit rendus fous par le néon.